Thème : Communes | Catégorie : Monographies, Première guerre mondiale 1914-1918 | Commune(s) : BLÉRANCOURT | Auteur : Instituteur
Canton de Coucy le Château Commune de Blérancourt
A.- Territoire occupé par les armées allemandes
I.- Généralités
a).- A quelle date les Allemands ont-ils pris possession de votre village ?
Les Allemands ont pris possession de Blérancourt le 30 août 19614.
b).- La prise de possession s’est-elle effectuée à la suite d’escarmouches, à la suite de combats sanglants, ou sans coup férir ?
Cette prise de possession s’est effectuée sans coup férir à la profonde stupéfaction des habitants qui croyaient les Allemands encore bien loin. Les éclaireurs ennemis débouchèrent d’un petit chemin dévalant du bois (Les Larris) vers 10 h du matin, pendant que sonnaient les cloches de l’église pour l’enterrement d’une vieille femme. Le premier arriva devant l’église, révolver au poing « Pourquoi cloches sonner ? ».
Ils ne firent alors que passer. Pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, leurs régiments défilèrent, marchant vers Paris et marquant leur passage par quelques pillages. La véritable occupation de notre bourg date du milieu de septembre, lors du recul des Allemands, après leur départ sur la Marne.
c).- Quelle a été l’attitude de l’autorité militaire à l’égard de la population pendant les premiers jours?
Dans la suite de l’occupation ?
L’autorité allemande se montra souvent soupçonneuse, tracassière à l’égard de la population. En présence du calme des habitants et de leur attitude froide mais correcte, on ne signala aucun acte de barbarie.
Mais les soldats se ruaient dans les maisons donnant force coups de lances dans les portes fermées, et se précipitaient vers les caves pour piller « les bons vins français ». D’autres venaient enlever les meubles des maisons les mieux garnies par ordre du commandant ou du général et payaient avec un bon de réquisition sans valeur, où à côté de grossièretés sans nom, revenait souvent cette formule : « A payer par Poincaré ».
d).- Pouvez-vous rapporter quelques propos authentiques tenus par des officiers ou des soldats, et qui soient caractéristiques de leur état d’esprit ou de l’opinion publique en Allemagne à cette époque ?
La plupart des officiers avaient sans cesse le mot de « Victoire » à la bouche ; et bien que leur rêve ait été l’anéantissement de la France, ils poussaient le cynisme jusqu’à manifester pour elle une feinte compassion dans les conversations qu’ils imposaient aux habitants forcés de les loger et de les subir. Un capitaine de hussards qui prédisait à l’un d’eux que les finances de la France seraient épuisées par sa défaite, s’attira cette réplique : « En supposant que, par impossible, nous soyons vaincus, nous serons toujours assez riches, puisque vous nous habituez à vivre sans manger ».
Pendant le courant de novembre 1914, un officier allemand passait en revue la bibliothèque de l’école des filles. Il y trouva un livre de « Contes de France ». Des Contes d’Alsace se trouvaient dans ce petit livre. Alors, plein de fureur, l’officier s’adressant à l’institutrice « Pourquoi des contes d’Alsace sont ils mêlés à des contes de France ? L’Alsace n’est pas à la France ! Ah ! Vous l’avez bien préparée dans le cerveau de vos enfants, cette guerre; vous l’avez voulue, voulue, vous l’avez !! ». Il tourna le dos et sortit en faisant siffler sa cravache.
Plus tard, quand ils se virent contraints de reculer, plusieurs de leurs officiers disaient : « Ne vous réjouissez pas, si nous partons, nous ne vous laisserons que vos yeux pour pleurer ».
e).- Pouvez-vous citer quelques ordres ou prescriptions émanant de l’autorité ennemie où se manifestait plus spécialement son système de « guerre aux civils » ?
Ils firent constamment « la guerre aux civils ». Dès septembre 1914, les jeunes gens furent expédiés dans ces affreux camps allemands où plusieurs sont morts de faim. En janvier 1915, tous les hommes valides furent enlevés.
Il ne restait plus que les vieillards, les femmes et les enfants. Quelle que soit leur position sociale, leur état de santé, les travaux les plus pénibles ou les plus répugnants leur furent imposés : travailler aux champs, abattre les arbres, rempierrer les routes, vidanger, blanchir le linge et les vêtements des soldats remplis de vermine.
Défense de sortir de ses maisons de 4 heures du soir à 8 heures le matin en hiver, et de 7 h du soir à 6 heures le matin en été. Défense de sortir du village. Défense de conserver de la lumière chez soi, le soir. Défense de former des groupes, de stationner dans les rues. Ordre à toute la population de saluer les officiers et les aspirants. Réquisition de denrées alimentaires : lait, œufs, beurre, poules, lapins, pommes de terre, etc. ; réquisition des cuivres et métaux utiles à la guerre ; réquisition des matelas de laine, des peaux, etc., etc.
Toute contravention était punie de l’amende et de la prison.
Ordre a été donné à un civil de fournir du pétrole pour incendier sa propre maison.
Journellement, l’État-major affichait des placards en allemand et en français annonçant de fausses nouvelles pour semer le découragement.
De nouvelles restrictions venaient s’ajouter aux précitées pour lasser la patience des habitants. On vivait sous une surveillance et une menace continuelles.
f).- Si possible, prière de joindre quelque spécimens d’affiches apposées par les soins ou sur l’ordre de l’ennemi, ou quelque document authentique digne d’intérêt, (ces documents seront exposés et renvoyés par la suite à leurs possesseurs, s’ils les réclament).
Plusieurs personnes avaient conservé des affiches copiées des documents, mais l’évacuation les a forcés de tout abandonner.
II.- Des rapports de l’Autorité ennemie avec la population scolaire
a).- Les établissements d’instruction (écoles, etc.) ont-ils été ouverts pendant toute la durée de l’occupation? Ou momentanément fermés, ou ont-ils été fermés pendant toute la guerre ?
Les classes n’avaient pas été réouvertes en octobre, car les écoles servaient d’hôpital. Sur la demande du maire et de l’instituteur, les Allemands, contents de ne plus voir les enfants flâner dans les rues, donnèrent l’autorisation de rouvrir les classes : mais les cours furent suspendus à plusieurs reprises, suivant les évènements et la mentalité spéciale des chefs de la Commandantur. Plusieurs fois, l’instituteur fut obligé de céder la place et de faire remiser au grenier le matériel scolaire, les écoles étant converties en ambulance le lendemain de combats. Enfin, la classe des grands resta au premier étage, dans une pièce servant de grenier, et celle des filles dans la buanderie. Les filles travaillaient le matin, les garçons l’après-midi.
b).- Quelles ont été les prescriptions particulières édictées par les Allemands à l’égard des établissements d’instruction ? (Prière de joindre, si possible, des documents à l’appui)
En raison de l’énergie et de la correction de l’instituteur, M. Picard, secondé par sa fille, aucune prescription particulière n’a été imposée ici par les Allemands. Les enfants n’ont eu à subir que l’interdiction générale de l’enseignement de la géographie et de l’histoire de France, sous prétexte que la victoire allemande y apporterait des changements et que toute cette région leur appartiendrait.
c).- Le commandant de place s’est-il immiscé dans les services d’enseignement ?
Certains commandants ont cherché à s’immiscer dans un service d’enseignement mais tout en conservant une liberté d’action, l’instituteur a su éviter tout incident fâcheux.
d).- des officiers délégués ou inspecteurs allemands ont-ils émis la prétention de contrôler l’enseignement ? Ont-ils pénétré dans l’école ? Ont-ils interrogé les élèves ? Pouvez-vous citer, à cette occasion, des réponses d’élèves méritant d’être mentionnées ?
Il a été fait à l’école des visites par quelques officiers et des délégués qui, sans interroger eux-mêmes les enfants, écoutèrent les réponses des élèves au maître, et n’ont pas fait, à ma connaissance, d’observation désobligeante portant sur l’organisation scolaire en France.
e).- Les élèves des établissements (écoles, etc.) ont-ils été contraints à quelques travaux manuels ?
Quelle a été l’attitude des élèves dans ces circonstances ? Particularité, réponses, réflexions dignes de remarque.
Sans qu’il soit tenu compte ni des intempéries, ni de la rigueur des saisons, les enfants furent contraints d’aller arracher les sénés, les chardons dans les récoltes, de ramasser les glands, les faines, les baies des églantiers, de ramasser les pommes, les pommes de terre, de cueillir des pas d’âne, des camomilles, d’aller au foin, de conduire des bœufs.
Il était bien dur de partir en pleine nuit, de faire avec le soleil d’été quelques kilomètres à pied pour rejoindre le travail pendant que les tombereaux ou les autres suivaient à vide. Plusieurs enfants ne purent continuer et tombèrent malades.
Les élèves n’étaient pas contents de travailler pour l’ennemi ; dès qu’ils ne se sentaient pas surveillés, ils flânaient mais la peur des coups de bâton et des amendes les empêchait de trop regimber.
f).- Quelle a été, en général, l’attitude des soldats à l’égard des enfants ? L’attitude des enfants à l’égard des troupes ?
En général, l’attitude des simples soldats semblait à l’égard des enfants plutôt bienveillants.
Pendant les journées longues de l’occupation, les enfants se défiaient des soldats et en avaient peur : peu à peu ils s’habituèrent. Certains montraient de la répugnance à accepter ou à subir les caresses de ces étrangers, mais beaucoup, par leur nature même d’enfant, étaient sensibles aux petits cadeaux de jouets ou de friandises.
g).- Le séjour des troupes allemandes a-t-il influé en quelque mesure sur le parler local ? Quelques mots allemands, plus ou moins déformés, y ont-ils pénétré, et paraissent-ils devoir persister ?
(Donner une liste de ces mots, et leur sens.)
Pendant le séjour des troupes allemandes, bon nombre de personnes furent obligées, pour se faire comprendre, d’employer plus ou moins correctement quelques mots allemands; mais je crois bien qu’il n’en reste plus de trace dans le parler local.
B.- Territoire occupé par les Armées françaises et alliées
I et II.- Généralités et rapports des troupes avec la population scolaire
a).- Quelles sont les troupes (alliées) qui ont occupé votre village ?
Le 19 mars 1917, des tirailleurs algériens suivis de troupes françaises sont entrés dans Blérancourt, sans aucun combat.
b).- S’est-on battu dans votre région ? A quelle date ?
Les Allemands étaient partis avant.
c).- Voyez-vous quelques particularités à noter touchant l’attitude des soldats alliés à l’égard des enfants ? Des enfants à l’égard des troupes ?
Presque toute la population ayant été évacuée par les Allemands, il ne restait plus guère d’enfants dans la commune. Ceux qui restèrent s’accordent à dire qu’ils furent très très heureux de l’arrivée de nos troupes et qu’ils furent tout de suite grands amis avec nos soldats.
d).- Le séjour des troupes alliées (ou indigènes), notamment des noirs, des Hindous, etc., a-t-il influé sur le parler local ? Quelques mots étrangers (anglais, hindous, etc.), plus ou moins déformés, y ont-ils pénétré, et paraissent-ils devoir persister ? Donner une liste de ces mots et de leur sens.
Le séjour d’aucune troupe n’a influé sur le parler local.
L’instituteur de Blérancourt
Source: BDIC La Guerre dans le ressort de l’Académie de Lille. 1914-1920
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