Thème : Contes, légendes et chansonsCommune(s) : AISNEAuteur : G.Bourlet
Conte de Noël de 1919
La mobilisation avait pris le père au mois d’août 1914.Seules avec le petit Charles, la mère et la grand-mère étaient restées au village. Pendant deux ans, elles subirent le joug de l’envahisseur. Dans le cours de ‘année 1916, elle furent évacuées et après quinze jours de pénible voyage, elles rentrèrent en France libre.
Dirigées vers le Plateau Central, ces trois malheureux reçurent dans une pauvre localité du Cantal, une hospitalité dont le souvenir reste, à l’heure actuelle, encore fort pénible. Logées dans les remises d’un vieux château, les soirées des derniers hivers keur parurent bien longues et c’est avec une joie ineffable qu’elles saluèrent l’heure de l’armistice.
Elles allaient quitter ce pays où personne n’avait compris leurs souffrances de réfugiés. Reçues partout en pestiférées, elles entendirent trop souvent résonner à leurs oreilles cette injure infâme : « Les voilà les boches du Nord », qui chaque fois leur mettait la rage au coeur. Enfin, c’était aussi la libération pour elles et le jour du départ pour le Vermandois fut un jour de bonheur.
Du village, il ne restait plus que des ruines. La désolation partout, dans cette plaine immense où le silence est le grand maître, dans les rues encombrées des murailles écroulées. Plus d’arbres dans le jardin, plus de fleurs dans la courette.
La guerre avait tout nivelé, jusqu’aux tombes du cimetière.
Ah : le retour au milieu de ces décombres encore tout remplis des souvenirs du passé , de la vie d’autrefois avec celui qui peinait pour la famille, ah ! ce retour fut bien douloureux. Le temps fit son oeuvre. Elles eurent vite oubliées (sic) les misères de l’évacuation pour lutter avec celles plus précises du moment.
Avec le concours des voisins, une ancienne grange fut rapidement rafistolée et tant bien que mal, dans des murs ébranlés, sous un toit de tôle ondulée, ces deux braves femmes et le petit se réinscrustèrent sur le sol natal, satisfaites de respirer l’air du bon Vermandois, en attendant des jours meilleurs. N’ayant pour vivre que l’allocation difficilement payée, elles virent arriver l’hiver avec angoisse. Y aurait-il du pain pour l’enfant ? Y aurait-il du charbon pour se chauffer dans cet abri où se donnaient rendez-vous tous les courants d’air du pays ? Voici cependant fin décembre et les mauvais jours passent !
Hier, c’était Noël ! Le petit Charles avait entendu à l’école le maître raconter que le Père Noël faisait des cadeaux aux enfants sages.
Et le soir, se souvenant de cette histoire, l’enfant s’adressait à sa mère songeuse : » Maman, dis, je vais mettre mes sabots dans le poêle et Petit Jésus viendra cette nuit ! « .
A ces mots, la mère sursauta. C’était bien la Noël , mais sa pensée, très loin, toute à celui qui n’était plus là ne pouvait se faire à cette idée.
– Oui, charlot, oui mon petit, mais le Père Noël ne visite plus ces pays déshérités ; il n’y a plus de cheminées, il n’y a souvent plus de feu, et ce bon vieillard ne fréquente que les belles maisons, où les papas et les mamans rient, où il y a de la joie du bonheur ! Ici le diable ne voudrait y venir.
– Si, si, maman, tu verras, il viendra.
Et têtu comme un enfant, Charles déposa ses sabots près du poêle flamand, aux trois pieds, récupéré dans un tas de décombres, puis sauta dans le lit de sa grand’mère.
De^puis ans, on ne parlait plus de Noël, dans la famille et l’enfant s’était couché si heureux, si convaincu que la mère se leva en disant : « Que lui donner à cet enfant ? »
Longtemps elle resta rêveuse ; dix fois, elle tourna sur ses talons. Cherchant le moindre objet , le plus petit bibelot qui ferait plaisir au gosse, mais rien, rien !
tout à coup, poussée comme par un ressort, la mère se précipita sur une petite caisse contenant du linge. des papiers, des lettres, des souvenirs, et d’une petit boîte en carton blanc, elle en sortit un objet qu’elle déposa dans l’un des sabots, dans l’autre , un reste de tablette de chocolat du ravitaillement. Puis elle aussi se coucha.
A peine si le jour entrait dans l’abri que l’enfant était réveillé. Aussitôt il se leva pour courir à ses sabots.
Un cri de joie ! La mère arriva. Le petit, demi souriant, demi sérieux, lui tend le cadeau du Père Noël :
« Tiens, maman, la croix de guerre de papa, viens que je t’embrasse ! «
Et tous deux se mirent à pleurer.
Gustave Bourlet – Le grand echo de l’Aisne – 27/12/1919