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Siège de Saint-Quentin – 1557Histoire locale / Articles

Thème : Communes, PatrimoineCatégorie : Histoire, Monuments


Article par Jacques Rohat extrait de « Histoire Populaire de la ville de Saint-Quentin » par L. Jamart

A travers les siècles, deux faits très importants ont marqué notre histoire locale : le siège de Saint-Quentin par les impériaux, et la bataille du même nom ou de Saint-Laurent.

Un ingénieur anglais, envoyé secrètement par le roi d’Espagne, vint explorer, en 1557,  les fortifications de Saint-Quentin. Au mois de juillet suivant, 55000 hommes commandés par Philibert de Savoie s’avancèrent à grandes journées vers la Picardie, et, le 2 août, Saint-Quentin fut investi. Contre des forces aussi considérables, aucun espoir de salut ne devait rester à notre cité : presque sans soldat, sans munition. N’espérant guère être secourus à temps par Henri II, nos braves Saint-Quentinois résolurent cependant d’opposer une vive résistance à l’envahisseur.

La cavalerie ennemie occupa la chaussée de Rouvroy, tandis que divers détachements s’arrêtèrent aux abords des portes Saint-Jean, Remicourt et Pontoilles et que le prince de Piémont plantait sa tente aux environs de Rocourt. En même temps, les vieilles bandes espagnoles attaquaient le boulevard extérieur du Faubourg d’Isle, dont elles furent bientôt maîtresse.

A la nouvelle de Saint-Quentin menacé, l’armée française, comptant environ 20000 hommes, sous la conduite du duc et connétable de Montmorency, se dirigea vers Saint-Quentin. Mais arrivée à La Fère, on apprit que la ville était investie.

On essaya alors de pénétrer dans Saint-Quentin par le chemin de Ham, supposé moins occupé par l’ennemi. A cet effet, Gaspard de Coligny partit de Ham le 2 août à une heure de la nuit, s’avança avec précaution de Saint-Quentin et pénétra dans la ville avec 2 ou 300 hommes.

La compagnie Saint-André, qui s’était égarée, ne put y entrer que le lendemain qu’en partie et après bien des difficultés.

La présence de l’amiral ranima le courage des habitants de notre cité. Jamais, peut-être on ne vit mieux ce que peuvent faire, dans les circonstances suprêmes, le courage et la volonté d’un homme supérieur sur une population virile et patriotique. Après avoir réunis les principaux citoyens et magistrats, puis les officiers militaires auxquels il fit connaître ses résolutions, Coligny s’assura des vivres, des canons, des munitions, enfin de toutes choses indispensables pour soutenir un siège.

Puis il ordonna les travaux les plus urgents, soit pour la réparation des bastions, soit pour la défense des points faibles. Une première sortie, afin d’occuper les assiégeants, fut tentée au faubourg d’Isle et resta sans résultat.

Elle fut cependant suivie le lendemain 4 d’une nouvelle sortie, mais celle-ci fut encore plus malheureuse que la première, car elle coûta la vie au capitaine Théligny.

Malgré ces revers partiels, les habitants, sous l’administration de Varlet de Gibercourt, et les soldats rivalisaient de zèle pour repousser l’ennemi. En même temps, deux compagnies, sous les ordres de Caulaincourt et du Baron d’Amerval, étaient formées avec les gens du pays les plus habitués aux armes.

Avec sa faible garnison, Coligny ne s’illusionnait pas sur la difficulté de soutenir un siège meurtrier. Aussi avait-il  réclamé des secours au connétable. 4000 hommes, sous la conduite du duc d’Enghien et d’Andelot, frère de Coligny, essayèrent de pénétrer dans la ville. Malheureusement, les reîtres (chevau-légers anglais et allemands au service de la France) dévoilèrent à l’ennemi les projets de l’armée française. Ce détachement fut attaqué au chemin de Savy. Devant une vive fusillade, ce corps fut obligé de se retirer après avoir subit de grandes pertes.

Ce même jour (8 août), 12000 anglais vinrent se joindre aux troupes espagnoles et s’établirent au-delà de Rocourt, tandis que les Espagnols plaçaient une batterie de brèche vis-à-vis de la muraille du faubourg d’Isle.

L’amiral fit alors replier ses troupes et, après avoir fait sonder les marais de Gauchy, réclama au connétable de nouveaux renforts. Montmorency s’avança aussitôt vers Essigny-le-Grand et, après une reconnaissance poussée jusqu’aux abords de la Somme, on convint de forcer l’ennemi. A cet effet, le maréchal Saint-André, alors à Ham, reçu l’ordre de rallier l’armée sur la route de La Fère. Ce mouvement en avant amena la bataille de Saint-Laurent (10 août) plus connue sous le nom de bataille de Saint-Quentin.

L’armée assiégeante se trouvait sur toute la rive droite de la Somme et l’armée française occupait la rive gauche. Ces deux armées étaient ainsi séparées par la Somme et ses marais, et un seul passage, l’étroite chaussée de Rouvroy, établissait une communication entre les deux rives.

Le trop confiant et présomptueux Montmorency, au lieu de s’emparer de ce chemin, ne songea qu’à l’attaque. Il bloqua dans le faubourg d’Isle les enseignes espagnoles, tandis que des hauteurs de l’Abiette, il envoyait des boulets sur Rocourt. Ce qui permit à 450 hommes, sous Dandelot, de pénétrer dans la ville. Mais le duc de Savoie, ayant reconnu la faute du connétable, chargea le compte d’Egmont, avec 2000 chevaux, de s’assurer de la chaussée de Rouvroy, et alors toute l’armée ennemie franchit la Somme et sa vallée. Le prince de Condé avertit Montmorency de la marche de l’ennemi et lui conseilla de sonner la retraite. Montmorency se contenta de répondre sèchement « : Qu’il commandait les armées avant que le prince fût au monde et qu’il était trop vieux pour recevoir des avis d’un jeune homme! »  Cette sotte réponse fut punie par une sanglante défaite. Vainement, le duc de Nevers essaya de soutenir le combat et d’arrêter l’ennemi dans la vallée de Grugie. Il se vit obligé de se replier sur le gros de l’armée qui battait en retraite vers Essigny. A la sortie de ce village, l’armée française fut tout à coup entourée par les escadrons de la cavalerie espagnole. En vain, l’infanterie française, disposée en masses profondes, résista-t-elle avec héroïsme aux charges impétueuses de la cavalerie ennemi. La lutte se continua sans trêve avec un acharnement sans égal. Mais l’artillerie du duc de Savoie arriva sur-le-champ de bataille, et, grâce à ce puissant secours, nos phalanges furent écrasées. Le duc d’Enghien, le vicomte de Turenne et la principale noblesse de Picardie périrent dans cette fatale journée. Le connétable, le duc de Montpensier, De Longueville, d’Aubigné, Saint-André et plus de 300 gentilshommes furent faits prisonniers. Seul le duc de Nevers fit sa retraite sur La Fère.

C’est, dit-on, à la suite de cette grande victoire, et peut-être aussi à cause de la destruction de l’église Saint-Laurent, au faubourg d’Isle, que le roi d’Espagne fit construire à Madrid, le palais de l’Escurial, qui, par sa forme de gril, rappelle le supplice de saint Laurent.

Aussitôt après cette victoire, Philippe II, jusqu’alors à Cambrai, se présenta sous les murs de Saint-Quentin. Il aurait du, comme on le lui conseillait, marcher immédiatement sur Paris. Mais il voulut avant tout se rendre maître de la ville.

Les braves défenseurs de notre cité comprirent l’importante nécessité d’arrêter un ennemi vainqueur. Aussi, redoublant de zèle, creusèrent-ils des contres-mines, tandis que d’Andelot, afin de protéger la muraille de Remicourt, faisait élever des redoutes au moyen de vieux bateaux hors de service. De son côté, l’ennemi imprimait une grande activité aux travaux d’attaque. Après avoir établi une batterie en l’abbaye de Saint-Quentin en l’Isle, il ouvrit, le 24, la  plus terrible canonnade contre la ville et ses remparts. Le 26, l’ennemi fit jouer les mines, mais les dégâts ne furent pas ce qu’il en attendait, bien que onze brèches furent ouvertes depuis la porte Saint-Jean jusqu’à la porte d’Isle. Le lendemain 27, le canon gronda sans interruption depuis le lever du jour jusque vers deux heures, puis un silence effrayant annonça le signal de l’assaut. Trois colonnes ennemies se présentent aux brèches, mais leurs efforts viennent se briser contre l’énergie et le sang froid de nos intrépides Saint-Quentinois. Les gens de guerre, les habitants, les moines, tous défendent avec acharnement la brèche qui leur a été confiée. Les assaillants, après une lutte sanglante, se voient repoussés.

Cependant l’une des brèches est forcée. Coligny, entouré de tous côtés, est fait prisonnier. Malgré la résistance de Jarnac et de d’Andelot, l’ennemi, devenu en peu de temps maître de la ville, la livre au pillage, au meurtre et à l’incendie. Quinze cents habitants, dit-on, furent  tués durant le sac de la ville, sans compter ceux qui perdirent la vie durant le siège.

Femmes, vieillards, enfants, rien ne fut épargné.

La place avait résisté dix-sept jours à une armée victorieuse. Mais que de ruines ! La plupart des hôpitaux ou des maisons de charité, les abbayes de Saint-Quentin, des Jacobins, des Cordelières étaient détruits. Plusieurs églises furent incendiées ou démolies, les reliques des Saints brisées ou enlevées. Les tapis de la Collégiale et de l’Hôtel de Ville furent envoyés en Flandre, en Espagne ou en Angleterre. Enfin (d’après De la Fons), deux cents jeunes garçons furent expatriés en Espagne pour être élevés et instruit dans l’art militaire, puis envoyés par nos ennemis dans les Indes, où ils conquirent une brillante renommée.

Les habitants qui survécurent à la catastrophe préférèrent abandonner leur ville natale plutôt que de se soumettre à la domination espagnole. Les chanoines eux-mêmes se retirèrent pour la plupart à Paris, de sorte que la ville resta à l’entière discrétion des espagnols, jusqu’à ce que le traité de Cateau Cambrésis en eut rendu la possession au roi de France et à ceux des habitants qui avaient survécu à un si grand malheur.

La belle défense de notre cité a été célébrée par Santeuil, poète latin, sous Louis XIII.  Aujourd’hui encore, on peut lire sur la façade de l’Hôtel-de-Ville, les vers latins suivant, que le conseil municipal a fait graver en lettres d’or sur marbre noir :

Bellatrix, I, Roma ! tuos nunc objice muros !

Plus defensa manu, plus nostro hœc tincta cruore

Mœnia laudis habent: Furit hostis et imminet urbi;

Civis murus erat, salis est sibi civica virtus

Urbs, memor audacis facti, dat marmore in isto

Pro Patria cœsos æterna vivere cives.

Traduction de M. Fiot (professeur d’Université) :

Cesse de nous vanter tes murs et tes batailles,

Rome; viens admirer ces vivantes murailles,

Ces hardis citoyens qui, dans le Champ-de-Mars,

Servent à leur cité d’invincibles remparts;

Où la seule valeur, sans mur pour se défendre,

Sait braver mille morts plutôt que de se rendre.

Leur ville, pour marquer qu’un grand cœur vit toujours,

Lorsque pour la Patrie il immole ses jours

Consacre au souvenir d’une action si belle

Sur ce marbre parlant, une gloire immortelle.

Un monument commémorant le siège de 1557 a été inauguré le 07 juin 1897 par le président Félix-Faure, qui remis à la ville la Légion d’honneur. Le legs de Charles Picard, ancien maire, et de sa fille, madame d’Arguesse, permit de le réaliser. Le projet de Corneille Theunissen fut choisi parmi une dizaine d’autres. Le groupe supérieur qui domine le monument représente la ville défendant la France porteuse de drapeau. Les écussons appliqués au socle rappellent les familles des défenseurs et les communautés : Varlet de Gibercourt, Coligny, de Lallier, Caulaincourt, de Lignières, d’Amerval, les archers, les canonniers…

Bas relief côté gauche

                          … La scène  montre un forgeron, improvisé artilleur, plaçant le canon sur le rempart, aidé d’un canonnier. Au-dessus, un jeune homme sonne de l’olifant et brandit l’étendard des archers de Sainte-Christine…

Bas relief côté de derrière

                          … Ce côté du monument  montre l’épouse du mayeur, Catherine de Lallier, soignant un blessé. Son visage fut emprunté à Louise Hugues, la femme du maire réputée aussi pour sa bienfaisance.

Fernand Mariolle-Gadmer, transporteur et conseiller municipal, a posé pour le blessé, soutenu par un jeune garçon, qui est peut-être son propre fils, Christian…

Devant du monument

                          … Le côté principal montre le mayeur et l’amiral, tournés vers l’envahisseur. Coligny en bottes, casque à visière à l’immense panache, l’épée au côté, pose la main droite sur le plan de la ville. Le mayeur Varlet de Gibercourt l’écoute ; gentilhomme bourgeois, il porte son pourpoint de buffle, un « morion » (casque) d’homme d’armes. Il ne cherche qu’à s’élancer. Poulain, capitaine des pompiers, et François Hugues, maire, ont posé pour Coligny et le mayeur…

Bas relief côté droit

                           … Cette scène symbolise les trois ordres de la nation. Un soldat mort à ses pieds, un vieux gentilhomme blessé, tient encore sa hallebarde. Un vrai moine de Paris aurait posé pour ce personnage. Un garçon du peuple lance une pierre sur les assaillants. Le fils du directeur du Crédit lyonnais aurait posé pour ce héros…

Ce monument a été déplacé de la place de l’hôtel de ville vers la place du huit octobre.

La maquette du monument dans l’atelier de l’artiste

Merci à J.L. Le Buzullier pour sa doc.  J.R.