Notre grand-père, René Bertrand, que tous nous appelions affectueusement « Pépère René » ne nous a jamais raconté ses activités pendant la 2ème Guerre Mondiale. Il ne nous en a lâché que quelques bribes d’histoires. Comme beaucoup d’hommes et de femmes qui ont vécus cette période, il n’a jamais voulu se mettre en valeur, contrairement aux résistants de la dernière heure ! De plus, notre mère, Suzanne Bertrand, était, à l’époque trop jeune pour pouvoir conserver beaucoup d’informations. A l’époque des faits, il possédait une entreprise de transport de voyageurs qui desservait des lignes régulières, comme Wignehies – Fourmies, Wignehies – La Capelle, Wignehies – Hirson, … et effectuait des pèlerinages, Lourdes, Lisieux, … Il complétait cette activité par le transport de bestiaux.
Que savions-nous de son activité pendant la guerre ?
Qu’il transportait des armes dans son car et qu’il participait à la réception de largages aériens.
Qu’une fois, il faillit se faire prendre à La Capelle, en compagnie de sa fille, Suzanne alors que dans son bus il y avait un résistant armé. Pour que celui-ci quitte le bus discrètement, il a modifié ses habitudes en pénétrant en marche AR, au lieu d’en avant, dans une petite rue le long du presbytère pour y faire demi-tour avant de revenir vers Wignehies. Pendant ce temps et, pour que les Allemands, n’entendent pas la portière arrière se refermer, Suzanne a maintenu la porte fermée sans la verrouiller. Cette manœuvre n’a pas éveillé les soupçons des Allemands présents dans la rue principale. Le résistant est passé au-dessus du mur du presbytère pour s’échapper.
Qu’il possédait du matériel de sabotage américain issu des largages, une scie de bucheron pour couper arbres et poteaux, une cisaille pour couper les fils de fer et fils téléphoniques, ainsi qu’un revolver et des grenades.
Qu’il conservait une bobine de câble électrique noir, un détonateur à manivelle, des pains de « plastic » (sorte de pâte à modeler) ainsi que des « stylos » (contacteurs) pour faire sauter les ponts, dans un petit appentis à côté de la cuve à eau. Il m’avait montré comment s’en servir en me disant que « les communistes ne passeraient pas comme avaient fait les allemands… ».
Qu’il écoutait Radio Londres tous les soirs pour recevoir les messages codés. On en comprend mieux la raison aujourd’hui.
Qu’il avait percé le mur de la cave entre la maison du 2 rue Jules Guesde et du Café « Les cars », afin de pouvoir, comme il l’a dit à l’époque s’enfuir si nécessaire ou évacuer en cas de bombardement d’une des deux maisons.
Qu’il a loué une maison au « Trie » (Quartier de Wignehies) pour éloigner sa famille de Wignehies. C’est cette maison qui servira de cache pour les armes, sous le lit de Suzanne, par exemple.
Un jour, il décide d’évacuer ces armes : Suzanne l’aide (mémère ignore ce qui se passe) et elle lui passe les armes au-dessus du mur de l’usine Carlier de Wignehies qui les réceptionne dans la cour. Ils s’aperçoivent qu’un allemand les observe ! Il ordonne à Suzanne de rentrer chez ses grands-parents et reste seul. Rien ne se passe. L’allemand est parti sans rien dire !
Qu’il est intervenu lorsque trois jeunes hommes ont voulu « emprunter » le vélo bleu de Suzanne entre Rocquignies et Wignehies quand elle rentrait de pension. Suzanne ayant de l’avance dans la côte de Rocquignies sur son père qui la suit en vélo voit 3 individus sur la route. Ils veulent lui prendre son vélo. Suzanne résiste et crie : « je suis la fille Bertrand ! ». Elle a appris à résister ; c’est « une Bertrand», et confusément depuis quelques temps, elle sentait que des gens avaient envers son père une certaine considération, sans en connaitre les raisons. Pépère arrive alors et dit : « Arrêtez les gars… c’est ma fille ». Ensuite, ils se mettent sur le côté et échangent entre eux. Elle avait reconnu l’un d’entre eux, Fernand Bouttefeux, qui était fiancé avec une coiffeuse du Tri à côté de chez eux.
Qu’il a botté le cul de Serge, son cousin, qui portait la chemise noire de la jeunesse chrétienne qui deviendra ensuite la milice française en 1943.
Qu’il transportait avec son gazogène le docteur Clercq (qui au passage appartenait à l’OCM – Organisation Civilo-Militaire du groupement « C » de l’Aisne), ce qui lui avait permis d’obtenir un laissez-passer « médical », jour et nuit, et certainement, lui permettait de circuler librement, mais non sans risque, pour transmettre des informations et participer à la récupération et distribution des armes et matériels issus des largages alliés.
Qu’il récupérait des jerricans d’essence en provenance de Belgique dans des fossés préalablement déposés par Jules Delmotte, qui deviendra notre grand-père quand son fils Georges épousera Suzanne. Les deux hommes se connaissaient puisqu’ils se retrouvaient depuis des années devant la gare de Fourmies, l’un attendant les voyageurs et l’autre des marchandises, pour boire un verre ensemble. Cette essence était utilisée en partie pour la voiture de Marie-Louise, sa femme (Mémère) et l’autre ? Certainement pour ravitailler d’autres véhicules.
Qu’il s’en voulait d’avoir annoncé la libération de la ville en faisant sonner les cloches de l’Eglise, provoquant le tir d’un char allemand qui a tué une femme. Aujourd’hui, on comprend mieux pourquoi, il était bien informé. La ville a été libérée le 2 septembre 1944, en matinée, par les troupes américaines.de la 3e division blindée du Général Rose, arrivant de Laon (02), et se dirigeant vers Avesnes-sur-Helpe..
Mémère aussi a eu son moment de gloire le jour de la libération… Elle et Suzanne entreprennent de mettre des drapeaux fabriqués-maison à la fenêtre dans le toit. Elles commencent à placer le drapeau tricolore (le drapeau américain restera sur le parquet), au moment où passe une voiture allemande avec 4 soldats à bord, des retardataires dans une Kübelwagen(« celle au nez pointu » dira Suzanne). Ils s’arrêtent, étonné de cette audace mais repartent sans demander leur reste. Une belle frayeur ….
Que, lors de la libération de Wignehies, il était intervenu avec autorité pour faire libérer deux personnes des mains de FFI « de la dernière heure », accusées de connivence avec l’ennemi : Madame Valdemont Gabrielle (mercière), dont la fille avait fait des études en Allemagne, parle allemand et M. Drancourt dont le garçon a étudié en Allemagne. Suzanne était assise sur les marches de l’épicerie de M. Régnier quand elle voit un groupe d’une vingtaine de personnes les emmener à la salle des fêtes, derrière son école. Ils entrent et ferment la porte. Debout sut les escaliers, elle aperçoit par la fenêtre M. Drancourt qui est grand.et, décide de prévenir son père que son ami Drancourt a été arrêté. Pépère arrive rapidement devant la porte et dit : « Ouvrez les gars, c’est Bertrand !» Après être rentré, il repart avec eux.
En 1943, le 19 août, le Docteur Tual, maire de Wignehies est abattu par la résistance. Il était un chef régional adjoint du mouvement francisme ⃰. Cependant pépère sera toujours peiné de sa mort car c’était un bon docteur et un client du « Bar des Cars » mais surtout il lui fournissait souvent de « bons renseignements » et « qu’il n’avait jamais dénoncé personne ». (C’est ce que pensait pépère).
Qu’il avait prévenu, un docteur d’origine juive, qui habitait sur la route de La Capelle – Wignehies de partir car la Gestapo arrivait pour l’arrêter. « Je l’avais prévenu. Il ne m’a pas écouté voulant rester soigner ses malades » !,
LA DECOUVERTE DU PASSE
Un jour, Stéphane découvre un papier plié en quatre dans le livret militaire de Pépère. En le dépliant, il constate qu’il s’agit d’un document à son nom, relatif aux FFI (Forces Françaises de l’Intérieur).
Sans en connaitre la réelle portée, il s’adresse à Madame Renaud, secrétaire à l’ONAC (Office National des Anciens Combattants) à Angoulême qui, à la vue du document, lui a demandé où il l’avait trouvé et s’il en connaissait l’intérêt et l’importance ?
Devant ses réponses, elle lui a demandé : « Vous avez lu le document ? Vous avez BIEN lu le document ? »
Réponse hésitante, mais affirmative, de Stéphane. Alors, elle lui explique que « Ce qu’il faut BIEN lire, c’est la première date : 5 mai 1944 soit 1 mois avant le débarquement de Normandie. »
Elle lui explique alors, qu’il s’agit d’un document très rare. Elle lui a également demandé si Pépère avait reçu la médaille de la Résistance.
Il l’informe que son grand-père a demandé son statut d’ancien combattant après la guerre mais que la réponse ayant été négative… il n’a pas insisté Donc « Pépère » n’a reçu, ni retraite, ni de médaille, ni reconnaissance, comme beaucoup de véritables résistants qui jugeaient avoir juste fait leur devoir de patriote.
D’un commun accord, ils décident de constituer un dossier et de l’envoyer à Caen pour passer en commission. Une décision est prise le 20 décembre 2011 de lui attribuer, le titre de Combattant Volontaire de la Résistance.
Appartenance au groupement OCM Région A – Secteur 5
Dans son dossier, conservé au Service Historique de la Défense au château de Vincennes, on peut y lire son homologation de GRADE F.F.I.
Nous pouvons lire, en page 1, son identité et sa profession : transporteur et en page 2, son appartenance au BOA 1433 Bureau des Opérations Aérienne (*) qui regroupait 120 hommes sous les ordres de « Sosthène ».
Puis, agrafé au dossier, le rapport d’activité de la section commandée par Monsieur Leporcq dit « Sosthène ». Il a participé à :
Mai 1944 : transports dans le bois de Buironfosse
Juin 1944 : sabotages de lignes téléphoniques et plaques indicatrices
Août 1944 : parachutage sur RAIL (nom de la zone de parachutage) (2 fois)
Août 1944 : transports des armes réceptionnées
Du 30 août au 3 septembre : combats de la Libération.
Joint au dossier, on trouve sa fiche de matricule : n°15 580, où il est précisé qu’il est « rentré dans ses foyers » et un certificat d’appartenance aux F.F.I. (le même que celui que nous possédons).
Cette date d’officialisation ne signifie pas que Pépère ne participait pas activement au mouvement FFI avant celle-ci. En effet, la « Carte verte » n’a été distribuée qu’à ceux qui étaient réellement actifs dans un réseau avant août 1944.
Tout, porte à croire qu’il était actif bien avant 1944, particulièrement dans le renseignement.
Pour cela, nous nous appuyons sur plusieurs éléments :
Dans le café familial « Les Cars », il pouvait recueillir des informations, puis les transmettre à La Capelle, destination normale de son service de cars. Avec le recul, concernant le café, le percement du mur de la cave mitoyenne avec celle de la maison du 1 rue Jules Guesde dans laquelle habitaient ses parents, sous prétexte qu’en cas de bombardement sur l’une ou l’autre des bâtiments, il est possible de penser qu’il avait une autre destination, si le café servait de lieux de rendez-vous pour la résistance. A savoir, prévoir une sortie dérobée au cas où le café serait cerné par les gendarmes et la gestapo.
Sa réaction à la mort du Docteur Tual en est une preuve,
L’incident du vélo de Suzanne et l’intervention de Pépère, auprès des trois hommes, dont on sait que l’un d’entre eux, Fernand Bouttefeux, était le responsable du détachement 24 « Vaillant Couturier » ou « Desrumaux » (Secteur Fourmies – Wignehies). Il parait évident que les deux hommes se connaissaient et étaient en relation, connaissant parfaitement le rôle de l’un et l’autre. Ce qui est conforté par la discussion en aparté qu’ils eurent. Cette rencontre ayant lieu obligatoirement avant le 24 janvier 1944, date à laquelle cerné par les gendarmes et les soldats allemands dans la ferme Piette de Féron, après un échange de coup de feu, se suicidera avec son revolver, selon les autorités, abattu selon l’Histoire, pendant qu’un de ses collègues s’échappait et que l’autre se rendait. Il lui était reproché par l’occupant les assassinats, du conseiller municipal Broussel à Fourmies, du receveur des Postes Franconi de Féron et de M. Prévost à Rocquigny. Ses funérailles eurent lieu le 29 janvier 1944 à Wignehies où il résidait, en présence d’une grande partie de la population.
De plus, par sa profession de transporteur de bestiaux, il pouvait circuler en zone occupée.
Mais, il reste de larges zones d’ombres, comme ce qu’il a fait pendant sa disparition après la libération jusqu’au 1er septembre 1944. Suzanne pense se souvenir qu’il s’est occupé d’un camp de prisonniers allemands vers La Capelle.
A la fin de la guerre, il a tout perdu. Ses cars ont été réquisitionnés ou volés, sa réserve de pneus idem !
Nous avons donc entrepris de rassembler les pièces du puzzle en notre possession et à rechercher des informations. Aussi, si quelqu’un possède des informations à nous transmettre sur les activités du réseau auquel il appartenait, et sur la zone de parachutage RAI, nous lui en serions très reconnaissant.
Nous remercions Généalogie Aisne de sa participation à notre recherche.
PS : Il se trouve que le Sosthène dont il est question plus haut est mon arrière-grand-père, et que c’est moi qui suis en charge de la publication des articles sur ce site. Un hasard émouvant qui nous a permis d’échanger nos informations. Les bouteilles à la mer finissent par arriver à bon port quelquefois. Messieurs Delmotte et moi-même sommes interessés à en savoir toujours plus sur ces deux résistants, leur groupe et leurs actions. N’hésitez pas à nous contacter .
Natty Pryjmak
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