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Monographie d’Ugny-le-Gay 1914-1918Histoire locale / Articles

Catégorie : Monographies, Première guerre mondiale 1914-1918Commune(s) : UGNY-LE-GAYAuteur : Instituteur


Canton de Arrondissement

Chauny de Laon

Commune d’Ugny -le-Gay

A.- Territoire occupé par les armées allemandes

I.- Généralités

a).- A quelle date les Allemands ont-ils pris possession de votre village ?

La première patrouille d’ennemis (4 uhlans et 1 s/ officier) est arrivée dans le pays le dimanche 30 août.

b).- La prise de possession s’est-elle effectuée à la suite d’escarmouches, à la suite de combats sanglants, ou sans coup férir ?

L’arrivée des ennemis s’est effectuée sans coup férir, les gens du pays croyaient même voir des Anglais, ce qui était tout naturel puisque nous n’avons vu que trois soldats français, fuyards de Saint-Quentin. Le lendemain 31 août, l’ennemi défila pendant toute l’après-midi, par files de 8, sans être aucunement inquiété et l’occupation n’eut lieu que deux mois plus tard. Entre temps, nous eûmes continuellement des passages de troupes, de convois et nous fûmes rattachés à l’Etape de Chauny qui vola et réquisitionna sans vergogne.

c).- Quelle a été l’attitude de l’autorité militaire à l’égard de la population pendant les premiers jours?

Dans la suite de l’occupation?

Attitude insolente et méprisante jusqu’à « la Marne « , insolente, rageuse et toujours menaçante après « la Marne ».

d).- Pouvez-vous rapporter quelques propos authentiques tenus par des officiers ou des soldats, et qui soient caractéristiques de leur état d’esprit ou de l’opinion publique en Allemagne à cette époque ?

En septembre 1914, un lieutenant des troupes du front, de passage à Ugny-le-Gay, demande à un enfant de 9 ans si on lui apprend l’allemand à l’école. Sur sa réponse négative, le teuton répond: « Dans trois semaines, la guerre sera finie et tu seras allemand; alors il te faudra bien apprendre notre langue pour devenir un bon petit allemand »! Un autre lieutenant disait à un cultivateur : « Dans huit jours, la guerre est finie avec votre pays, mais elle commencera seulement avec l’Angleterre » ; quantité d’officiers disaient « les Anglais vous ont pris Calais et ils ne vous le rendront plus. » Un Hauptmann, von Palm, banquier à Berlin me disait en 1916: « Nous sommes victorieux et nous le serons toujours, la France est un pays fini et sera bientôt une nation secondaire. L’Allemagne sera la première nation du monde et notre empereur dictera ses volontés au monde entier. L’Amérique elle-même ne peut rien contre nous, elle ne nous fait pas peur, et nous ne déposerons les armes que lorsque l’Angleterre ruinée implorera la paix! ». Jusqu’à leur recul de mars 1917, les troupes allemandes disaient : » Nach Paris » ou « Paris capout »!

Fin 1914, un sous-officier disait au Maire, en le gratifiant d’un coup de pied au ….  » Filez et vite, et n’oubliez pas que je considère les Français comme les derniers … de l’univers!! » Deux mois plus tard ce personnage était officier !

e).- Pouvez-vous citer quelques ordres ou prescriptions émanant de l’autorité ennemie où se manifestait plus spécialement son système de « guerre aux civils » ?

Pendant les premiers mois de l’invasion; interdiction absolue de se trouver hors des maisons après cinq heures du soir. – Défense de quitter le territoire de la commune sous peine d’emprisonnement; – appels fréquents pour toute la population et à n’importe quelle heure, ce qui permettait aux soldats de fouiller consciencieusement les maisons. Le 23 septembre 1914, ordre à tous les hommes et jeunes gens de 18 ans de se rendre à la mairie pour être enlevés en Allemagne (Camp de Cassell). – Ordre de saluer tous les officiers ennemis en retirant la coiffure: prison à ceux qui ne s’y conformait pas. – Ordre de livrer armes et bicyclettes sous peine de mort. – Réquisition de tous les hommes, femmes et jeunes gens pour le travail: coups, amendes, prison pour ceux qui refusent. – Ordre aux enfants de l’école d’aller ramasser les pommes, les poires, les orties, les mûres et couper les chardons: 24 heures de prison à ceux qui refusent. – Le 10 février 191, ordre d’évacuer à Bachant (Nord) toute la population valide.

f).- Si possible, prière de joindre quelque spécimens d’affiches apposées par les soins ou sur l’ordre de l’ennemi, ou quelque document authentique digne d’intérêt.

Toutes les affiches et documents authentiques ont été brûlés lors de la deuxième invasion.

II.- Des rapports de l’Autorité ennemie avec la population scolaire

a).- Les établissements d’instruction (écoles, etc.) ont-ils été ouverts pendant toute la durée de l’occupation? Ou momentanément fermés, ou ont-ils été fermés pendant toute la guerre ?

L’école mixte d’Ugny-le-Gay a été ouverte pendant toute l’occupation. Pour empêcher la réquisition de la salle de classe, on y avait installé le dépôt du ravitaillement du « Comité for relief in Belgium. »

b).- Quelles ont été les prescriptions particulières édictées par les Allemands à l’égard des établissements d’instruction ?

Ordre de M. le Major Dulong (descendant d’une famille protestante émigrée sous Louis XIV) « Ne jamais parler aux enfants de la guerre actuelle, éviter tout jugement défavorable à l’Allemagne ou à ses soldats. »

c).- Le commandant de place s’est-il immiscé dans les services d’enseignement ?

Non, les commandants venaient quelquefois dans la salle de classe, mais presque toujours accompagnés du docteur allemand.

d).- des officiers délégués ou inspecteurs allemands ont-ils émis la prétention de contrôler l’enseignement? Ont-ils pénétré dans l’école ? Ont-ils interrogé les élèves ? Pouvez-vous citer, à cette occasion, des réponses d’élèves méritant d’être mentionnées ?

Je ne vis durant toute l’occupation aucun inspecteur allemand. Une seule fois, un sous-officier, instituteur aux environs de Berlin, et faisant partie d’une colonne de munitions installée dans le pays, eut l’audace de venir dire bonjour à « son cher collègue » et voulut interroger les enfants, pas un élève ne répondit. Il comprit … et ne revint plus.

e).- Les élèves des établissements (écoles, etc.) ont-ils été contraints à quelques travaux manuels ?

Quelle a été l’attitude des élèves dans ces circonstances ? Particularité, réponses, réflexions dignes de remarque.

Les enfants de l’école ont été contraints à certains travaux; ils durent ramasser des pommes, des orties, couper des chardons, cueillir des groseilles, des mûres, etc. Au commencement, beaucoup d’élèves essayèrent de résister; les soldats se rendirent chez eux et les conduisirent directement au travail. Alors la tactique changea; ils travaillèrent le moins possible. Un jour, comme leur gardien était myope, de très petite taille, ils refusèrent de travailler et l’attaquèrent avec des pommes; ils restèrent maîtres du champ de bataille et l’ennemi perdit les verres de ses lunettes! Une autre fois, les enfants jouèrent à la guerre; les Français d’un côté, les allemands de l’autre. Et les pommes entrèrent en jeu! Mais le combat ne dura que quelques minutes: tous les « Allemands » firent « Kamerad » à la grande fureur de leur surveillant!

f).- Quelle a été, en général, l’attitude des soldats à l’égard des enfants ? L’attitude des enfants à l’égard des troupes ?

Il n’y eut à Ugny-le-Gay aucun acte de brutalité envers les enfants, à part quelques exceptions, les soldats ennemis ne leur témoignaient aucune amitié. De même, de la part des enfants, indifférence complète pour leurs hôtes forcés.

g).- Le séjour des troupes allemandes a-t-il influé en quelque mesure sur le parler local ? Quelques mots allemands, plus ou moins déformés, y ont-ils pénétré, et paraissent-ils devoir persister ?

Une expression allemande très déformée, s’entend encore de temps en temps, c’est le fameux « Passe-moi lof » qui pour nos paysans veut dire: attention! Elle tend à disparaître…

Un mot bien français celui-là mais employé à chaque instant par l’ennemi demeure encore : égal (égaaaal) ! Il est malheureusement des souvenirs plus durables.

L’instituteur

Ecole d’Ugny-le-Gay Rédaction

Aisne

Ecole mixte

Dites avec simplicité et sincérité ce que vous vous rappelez de la guerre et faites le portrait de l’épisode le plus dramatique dont vous ayez été le témoin.

Développement

Lorsque les Allemands nous déclarèrent la guerre le 2 Août 1914, date dont je me souviendrai toute ma vie, des millions de Français partirent pour rejoindre leurs régiments. Malgré cela, à la fin du mois, les Allemands défilaient dans les rues de notre village, sans être inquiétés. La veille, une patrouille de hussards passa dans le pays. Un des Allemands visa notre Maître avec un révolver. J’ai eu grand peur. Les gens croyaient voir des Anglais. Mais bientôt nous reconnûmes les uhlans. Ils envahirent le pays et vinrent à la mairie: ils réunirent les hommes valides et les enlevèrent.

L’ennemi exigea que les armes fussent déposées à la Mairie. Les tracasseries commencèrent. Une fermière fut condamnée à 10 marks d’amende pour une de ses poules qui était allée dans un champ de blé voisin. Une jeune fille fut punie de 5 marks d’amende pour avoir mangé deux radis dans le jardin du commandant. Ils condamnèrent notre Maître à la prison pour imprudence. Ils brûlèrent deux fermes. Quand on éteignait d’un côté, ils rallumaient de l’autre. Le Maire était là: ils lui jetaient des pierres, et nous enfants, ils nous firent couper des chardons, cueillir des groseilles, des cassis, ramasser des pommes.

Un de nos camarades brisa les binocles du soldat qui nous gardait. Au lieu de travailler, nous jouions à la guerre. Nous fîmes un camp de français et un camp d’Allemands. Les Allemands furent naturellement battus. L’Allemand qui nous gardait était fort en colère.

On travaillait le moins possible car c’était pour l’ennemi. Les soldats faisaient tout pour nous empêcher d’aller à l’école. Ils y venaient jouer de la musique et chanter. Malgré eux, elle ne fut jamais fermée. Le matin, nous allions en classe et l’après-midi les plus grands allaient travailler. Le 10 février 1917, les femmes, les hommes et les enfants de plus de 15 ans furent envoyés dans le nord. Malgré notre chagrin, personne ne pleurait mais notre haine augmentait.

La nuit la plus dramatique fut celle de 19 mars 1917. Les Allemands reculaient, ils fuyaient sans bruit mais brûlaient tout en reculant. Les maisons étaient en feu, des lueurs sinistres illuminaient le ciel. Dans les rues du pays, on se dirigeait comme en plein jour: nous étions dans une véritable fournaise. Il fallut abandonner les maisons et se réfugier dans les champs. Vers deux heures du matin, trois explosions se firent entendre; pour empêcher l’avance des Français, les Allemands faisaient sauter les routes. Nous étions assis dans une maison au bout du village. Quand les explosions éclatèrent, la maison trembla. Les chaises basculèrent, nous crûmes que notre dernière heure était venue. Nous fûmes tout surpris de nous voir encore vivants.

Quelques heures plus tard, les Français arrivaient, nous étions délivrés. Ce fut du délire: les enfants riaient, chantaient et portaient des bouquets aux soldats. Mais cette joie ne dura guère car nous pensions à nos pères, à nos parents et à nos compatriotes que l’ennemi avait enlevés et qui étaient loin de nous, peut-être en pleine bataille. Nous y pensions sans cesse jusqu’au jour heureux où nous les vîmes revenir.

La joie de se retrouver en famille, nous fit oublier notre long martyre, mais la haine pour l’ennemi est restée, car le souvenir des batailles et de la cruauté ne peut s’effacer.

Alice L. 12 ans.

Source : BDIC La Guerre dans le ressort de l’Académie de Lille. 1914-1920

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