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Monographie de Sissy 1914-1918Histoire locale / Articles

Catégorie : Monographies, Première guerre mondiale 1914-1918Commune(s) : SISSYAuteur : A.Mouny instituteur


Ecoles communales

Questionnaire

A.- Territoire occupé par les armées allemandes

I.- Généralités

a).- A quelle date les Allemands ont-ils pris possession de votre village?

Les Allemands ont pris possession du village le dimanche 30 août 1914, vers cinq heures du soir.

b).- La prise de possession s’est-elle effectuée à la suite d’escarmouches, à la suite de combats sanglants, ou sans coup férir?

La prise de possession s’est effectuée à la suite de combats sanglants avec les troupes françaises, sur la rive gauche de l’Oise.

c).- Quelle a été l’attitude de l’autorité militaire à l’égard de la population pendant les premiers jours? Dans la suite de l’occupation?

L’autorité militaire, pour la sureté des envahisseurs, voulait briser toute résistance, et pour arriver à son but, systématiquement, elle terrifiait les populations. Sous le prétexte qu’une personne avait tiré sur eux, ce qui n’a jamais été prouvé, les Allemands mirent le feu à la maison Cochet-Dequin. Les habitants du quartier Becquerel furent rassemblés sur la place Nationale, mis à genoux et menacés d’être fusillés. Ils ne purent retourner chez eux que quand le maire eut certifié que c’était des habitants de Sissy et non des francs-tireurs.

Les allemands entraient dans les maisons, révolver au poing, ouvraient les armoires, démolissaient les lits et fouillaient partout pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’armes cachées. Bien entendu, ils fouillaient les maisons abandonnées et se livraient à des orgies sans nom. Par la suite, ils agirent un peu moins brutalement mais la terreur et la délation restèrent leurs grands moyens de domination. Dans les ordres à la population : toujours la peine de mort ou au moins des amendes fantastiques reviennent à chaque instant.

d).- Pouvez-vous rapporter quelques propos authentiques tenus par des officiers ou des soldats, et qui soient caractéristiques de leur état d’esprit ou de l’opinion publique en Allemagne à cette époque?

Au début de l’invasion, des soldats allemands bien stylés répétaient tous que les Français avaient voulu la guerre, qu’ils avaient lancé des bombes sur les villes allemandes et que ce qui nous arrivait était la juste punition de nos forfaits. Ils confondaient Saint-Quentin et Saint-Denis et se croyaient déjà aux portes de Paris. Les tableaux noirs de l’école étaient remplis d’inscriptions où revenaient toujours le « Deutschland über alles »,  le mot de Bismarck : « Nous Allemands, nous craignons Dieu et rien autre chose dans le monde», ou bien « Nous combattrons jusqu’au dernier homme ».

Leurs officiers méprisaient les officiers français dont ils disaient : « Bons pour les salons, mauvais pour le commandement ». Ils nous annonçaient que la France était irrémédiablement vaincue et que dans quelques jours, ils seraient à Paris.

e).- Pouvez-vous citer quelques ordres ou prescriptions émanant de l’autorité ennemie où se manifestait plus spécialement son système de « guerre aux civils »?

Des jeunes gens des classes 1916 et 1917 ont été internés à Ribemont à la Broderie Hugues depuis le 7 janvier 1915 jusqu’au moment de l’évacuation du village et forcés de travailler pour les Allemands (aucun ordre écrit n’a été affiché). D’autres, au début de l’année 1917, furent envoyés dans la zone du feu.

Pourrait-on citer encore les perquisitions incessantes et le rapt des objets de ménage de première nécessité: poêles, machines à coudre, vaisselle, rideaux, lampes, chaises, etc (ordres détruits).

Ci-joint l’ordre de saluer les officiers. Beaucoup de contrevenants ou jugés tels subirent leur peine à la maison d’arrêt de Saint-Quentin.

f).- Si possible, prière de joindre quelque spécimens d’affiches apposées par les soins ou sur l’ordre de l’ennemi, ou quelque document authentique digne d’intérêt, (ces documents seront exposés et renvoyés par la suite à leurs possesseurs, s’ils les réclament).

II.- Des rapports de l’Autorité ennemie avec la population scolaire

a).- Les établissements d’instruction (écoles, etc.) ont-ils été ouverts pendant toute la durée de l’occupation? Ou momentanément fermés, ou ont-ils été fermés pendant toute la guerre ?

A Sissy, les écoles restèrent ouvertes durant toute la durée de l’occupation. A Iron, puis Guise où je fus évacué en mai 1917, la salle de classe fut affectée au logement des troupes, les Allemands ne laissèrent qu’un local très exigu où les garçons et les filles se réunissaient à tour de rôle, les premiers le matin, les autres dans l’après midi.

b).- Quelles ont été les prescriptions particulières édictées par les Allemands à l’égard des établissements d’instruction? (Prière de joindre, si possible, des documents à l’appui)

Une circulaire de l’autorité supérieure allemande fut envoyée aux instituteurs et aux institutrices. Elle portait défense de parler politique dans les écoles. Je ne possède plus ce document mais on doit pouvoir les retrouver chez les instits qui n’ont pas évacué.

c).- Le commandant de place s’est-il immiscé dans les services d’enseignement?

Personnellement, le commandant de Ribemont, von Grone, ne s’occupait pas beaucoup des écoles mais son secrétaire, Bollermann, qui, dans la vie civile était instituteur à Hanovre je crois, prétendait se mêler de nos affaires sans la moindre circonspection.

La Commandanture fixait les congés et nous faisait produire tous les quinze jours une liste des enfants manquants afin de punir leurs parents. Bien entendu, la liste était toujours négative.

d).-Des officiers délégués ou inspecteurs allemands ont-ils émis la prétention de contrôler l’enseignement ? Ont-ils pénétré dans l’école ? Ont-ils interrogé les élèves? Pouvez-vous citer, à cette occasion, des réponses d’élèves méritant d’être mentionnées ?

Un pasteur protestant de Saint-Quentin inspecta plusieurs fois les écoles de Sissy et interrogea les élèves. Mais à l’encontre du Lt Bollermann, il se montrait très réservé et ses visites n’ont donné lieu à aucun incident.

Je joints au présent quelques circulaires de la Commandanture de Ribemont que le feu a épargnées. Quant aux ordres du G.Q.G., ou du Général von Nieber, ils ont tous été détruits.

e).- Les élèves des établissements (écoles, etc.) ont-ils été contraints à quelques travaux manuels? Quelle a été l’attitude des élèves dans ces circonstances? Particularité, réponses, réflexions dignes de remarque.

Oui, à Sissy, les plus âgés durent arracher des « sauves » dans les récoltes, travailler à la moisson, etc …

A Iron, tous, filles et garçons, durent couper des orties, les effeuiller et les faire sécher en 1917 et 1918. Ils durent aussi récolter des plantes médicinales : menthe, camomille, pas d’âne, seigle ergoté même, cueillir des fruits sauvages, comme ceux de la ronce, de l’aubépine, du sureau, etc…, désherber les champs de légumes ou les céréales. Bref, il n’y avait réellement plus de classe.

A part la cueillette des orties, toutes ces diversions plaisaient plutôt aux enfants qui n’y voyaient qu’une chose, le moyen d’échapper aux exercices réguliers de l’école.

Dans tous ces travaux, les enfants étaient conduits par leurs maîtres et n’avaient aucun contact avec les soldats allemands.

f).- Quelle a été, en général, l’attitude des soldats à l’égard des enfants? L’attitude des enfants à l’égard des troupes?

Généralement les soldats se sont montrés corrects avec les enfants et les enfants avec les soldats. D’ailleurs ils ne se comprenaient pas les uns les autres et ne pouvaient guère converser ensemble.

g).- Le séjour des troupes allemandes a-t-il influé en quelque mesure sur le parler local? Quelques mots allemands, plus ou moins déformés, y ont-ils pénétré, et paraissent-ils devoir persister? (Donner une liste de ces mots, et leur sens.)

Si pendant l’occupation, les Français durent par la force des choses se servir de vocables allemands, ils les oublièrent bien vite après l’armistice et il est maintenant bien rare d’en rencontrer dans la conversation.

III.- Travaux d’élèves

Ci-joint le récit sincère d’un enfant. Il m’est impossible d’en fournir plus, attendu que beaucoup d’écoliers ont fui devant l’invasion avec leurs familles. Il faut aussi remarquer que les plus âgés de nos élèves n’avaient que 7 ou 8 ans au début de la guerre et ne se rappellent pas grand-chose.

Sissy, le 30 mai 1920

L’instituteur,

A.MOUNY

Source : BDIC La Guerre dans le ressort de l’Académie de Lille. 1914-1920

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