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Les « croquemitaines » de la vieille ThiéracheHistoire locale / Articles

Thème : Contes, légendes et chansonsAuteur : J.Gape d'après M.Cury


par Jean Gape d’après Marcel Cury

En tous temps et en tous pays, certains personnages, généralement peu recommandables, ont « fait parler d’eux » jusqu’à devenir des mythes : d’abord épouvantails, puis chef de file d’une « famille » aux contours vagues, et finalement, noms communs passablement affadis et d’autant plus persistants… Les personnages de fiction du cinéma et de la télé ont le même sort : un James Bond ou un Fantômas sont entrés dans le domaine public… comme on disait hier de certain hommes autoritaires : C’est un Napoléon…

   Notre ami M. Cury d’Archon, grand connaisseur de notre vieux langage, nous livres aujourd’hui la survivance, pas encore tout à fait éteinte, de quelques-unes de ces « terreurs » de jadis dans le parler Thiérachien.

Notre Thiérache, terre d’invasion a souvent gardé dans son langage le souvenir des guerriers qui l’ont ravagée. Il n’est peut-être pas sans intérêt d’en évoquer quelques figures. Depuis longtemps nos aïeux ne croyaient plus aux Arliquins, ces démons, en sommes assez sympathiques, qui hantaient les soldats, mais ils nommaient arliquins les enfants et les jeunes gens trop turbulents. Ce mot semble avoir la même origine que l’Erlenköeing le roi des Aulnes des légendes allemandes. La Mesnie Ellequin désigne dans maintes provinces au nord de la Loire, la chevauchée nocturne des esprits infernaux, et il ne faudrait pas beaucoup d’imagination pour donner comme cadre à l’émouvante poésie de Goethe, l’Erlkoening, la foret Thiérachienne. Mais n’y a t-il pas là un rapport avec le capitaine allemand Franz Hennequin qui au moment des « Grandes Campagne » terrorise nos contrées ? Pour ne citer qu’un exemple local, il écrase prés de Sévigny-Waleppe (Ardennes), la troupe du seigneur de Roupy – Sissonne qui voulait préserver du pillage l’abbaye de la Valroy. Mais ce germain n’avait-il pas pris le nom d’un épouvantail de son pays pour effrayer encore plus les populations crédules de l’époque? Le Duc Charles de Lorraine n’avait pas à se louer du rois Louis XIII qui l’avait dépossédé de son Duché. Pendant la fronde il fit preuve de duplicité, vendant ses service au roi et favorisant les princes révoltés. I exerça ses cruautés en Thiérache, notamment autour du Val St-Pierre et de Rozoy. Avant la guerre de 1914, on entendait souvent encore l’expression « faux comme un Lorrain » ou la formule «Lorrain, coquin, traître à son Dieu et à son prochain ». aujourd’hui nos compatriotes de l’est sont heureusement réhabilites. En 1636, l’armée de Corbie, un autre chef de bande Jean de Werth exerça ses ravages dans le Nord de la France, ce qui lui valut une triste renommée « Jean de Werth étant général à fait trembler le Cardinal ». il n’y a guère plus d’un siècle on effrayait encore les enfants avec ce Croquemitaine à Montdidier (Somme), à Etréaupont, etc.

pendant les guerres de la fronde, la troupe d’un Allemand (ou Suisse), le baron d’Erlach qui avait vendu ses services à la France, montra sa cruauté, en particulier pour nos régions, à Dolignon, à Beaumont – le – Thuel, à Aubenton en représailles contre le geste un peu trop gaulois de l’avocat Millet, etc. il n’est donc pas surprenant que son nom, voué à l’exécration, soit parvenu jusqu’à nous ; nos grand-mères appelaient «  Derlaque » l’enfant insupportable qu’elles avaient trop gâté . d’après certains chercheurs « Arland » serait une variante de d’Erlach ; d’autre y voient le nom plus ou moins déformé d’un soldat russe de 1814. quoi qu’il en soit « derlaqué » est disparu du langage vers 1895, mais « Arland » est toujours en vigueur.

Avec l’hiver de 1709, un nouveau fléau fondait sur notre pays. Un chef de bande hollandais, Drongard, aux ordres du prince Eugène de Savoie, vint ravager la Thiérache. La légende veut qu’il soit revenu à de meilleurs sentiments un soir qu’il passait incognito dans la rue de Bucilly au moment où une mère faisait réciter la prière à ses enfants « mon Dieu, délivrez-nous de Drongard et de sa troupe ». il entra dans la chaumière vida sa bourse sur la table et renonça au métier des armes.

Bien qu’il ne soit jamais descendu jusque là, avant 1914, aux environs de Rozoy, on donnait encore le nom de « vieux drongards » à des trimardeurs ivrognes et paresseux.

Ce mot est cité dans le dictionnaire de Godefroy comme synonyme d’ivrogne et il figue en ce sens dans une chanson sur le siège de Mézières en 1521. une nouvelle hypothèse paraît alors. Le véritable nom de notre soudart. Etait peut-être difficile à prononcer pour les lèvres françaises et nos populations lui auraient donné un sobriquet, comme elles faisaient encore récemment pour leurs envahisseurs les plus détestés.

En 1712, quelques jours avant la bataille de Denain, un partisan hollandais, Growenstien, contourna l’armée française et vint ravager la Thiérache. Ses extractions furent nombreuses chez nous, mais il ne semble pas que son nom soit entré dans la langue populaire. Il n’en n’est peut-être pas de même pour le folklore, car peu suivis, croient voir dans la baignade des cavaliers d’Effry, à la Saint-Eloi d’été, le souvenir du passage de l’Oise par la troupe de Growenstien. Il ne semble pas que les dernières guerres aient enrichi notre vocabulaire de noms de tortionnaires. Les commandants des armés régulières modernes sont moins connus des envahis que ne l’étaient les chefs de bande d’autrefois. Enfin tous ceux qui ont vécu ces guerres en ont conservé dans leur mémoire et dans leur cœur un souvenir suffisant.

M. Cury