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La garde-de-Dieu et la famille LeleuHistoire locale / Articles

Thème : CommunesCatégorie : Histoire, ToponymieCommune(s) : GRANDRIEUX, ARCHONAuteur : J.Gape d'après Marcel Cury


Sur la R.N.377, entre Rozoy et Brunehamel, le hameau de « la Garde de Dieu est la plus méridionale des « rues » de Thiérache, en même temps que l’une des rares dont l’origine et l’histoire nous soient parfaitement connues.

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Un artisan charpentier de Parfondeval Pierre Leleu, né en 1767, était homme « supérieur » Physiquement, il mesurait 6 pieds et pesait 210 livres. Il possédait une intelligence au-dessus de la moyenne, jointe à une habilité manuelle peu commune.
Il comprit vite l’importance de la route, créée en 1756 (et qui n’était pas encore la route Ardennes – Ile-de-France). Au début de la révolution il bâtit une maison pour sa famille à l’angle de la nouvelle voie de communication et du chemin de Parfondeval. Il y adjoignit une auberge de rouliers (les routiers d’alors) qui fut vite achalandée, car sa femme, de conduite irréprochable, savait administrer son domaine à la satisfaction de tous. La cir-culation étant importante, et souvent la jeunesse des environs venait s’y divertir et danses « sur le pavé ».                     

Bientôt l’ennemi franchit nos frontières et ce fut la levée en masse. Pierre partit avec les jeunes gens de la région qui le désignèrent pour leur chef. Malgré sa fermeté, une larme perlait a ses yeux au moment de quitter sa femme et ses enfants : « je vous laisse à la garde de Dieu ! » leur dit-il. « la garde de Dieu ! pourquoi ne serait-ce pas le nom de ta maison ? » s’écrièrent ses amis venus pour l’accompagner. Le mot fit fortune et subsiste encore sous sa forme patoise : « La gar de Où ».

il faut signaler un avis différent. D’après certains, le nom aurait été donné par des ouvriers briquetiers belges. Mais la première version est la plus plausible… et la plus poétique. Leleu ne resta pas longtemps à l’armée. « Affecté spécial » avant la lettre, il fut renvoyé chez lui avec mission de fabriquer du salpêtre, dont la patrie en danger avait le plus pressant besoin. Puis il se fit entrepreneur de construction, édifia dans la région plus d’une centaine de maisons, moulins à eau et à vent, etc…. Il bâtit et exploita une des premières brasseries du département. Vraiment un « promoteur ».

Son fils Victor réussit moins bien : il était inventeur. C’est dire qu’il ne fit pas fortune. Il construisit une machine à vapeur qui lui coûta cher, et une bicyclette a deux roux en bois, égales et de grand diamètre. Il s’attacha au problème de l’incubation artificielle, acheta un jour tous les œufs du voisinage et les disposa dans une petite chambre qu’il chauffait jour et nuit. Il escomptait un bénéfice appréciable de la vente de ses poussins. Mais les forces humaines sont limitées. A quelques jours de l’éclosion. Il tomba de fatigue et s’endormit profondément. A son réveil les œufs étaient froids. Adieu couvée ! Ce personnage pittoresque avait les goûts de son époque. A chacun de ses trois fils légitimes il légua un nom mythologique : Achille- Ascagne- Alcide… »

Marcel CURY.

   La pittoresque dynastie des Leleu n’allait pas s’arrêter avec « Victor », l’inventeur malheureux d’une machine à vapeur qui le ruina, d’une bicyclette trop en avance sur son siècle, et d’un incubateur sans thermostat…. Ni à ses trois fils légitimes, affublés pourtant de prénoms dignes de la Grèce antique.

« En 1830, naissait à Archon, Victor Leu Baillet, « enfant de père inconnu ». inconnu officiellement, car la malignité publique n’avait pas attendu le choix de ces prénoms révélateurs pour attribuer la paternité à Victor Leleu. L’enfant grandit, entra au séminaire, reçut la prêtrise et termina sa carrière comme curé de… Monceau-les-Leups. Lorsqu’il revenait dans sa famille à Archon. Il était pour tout le monde « le curé Leleu ».

De son père présumé il tenait une grande indépendance de caractère et le goût d’occupations qui paraissaient assez insolites chez un prêtre. Barbu comme un missionnaire, fumeur de pipe, nous le voyons pêcheur d’écrevisses et quelque peu braconnier, collectionneur d’armes et radiesthésiste, dresseur de chats savants et mécanicien… Mais son violon d’Ingres était l’horlogerie et tous les environs appréciaient les talents. C’était un personnage original et haut en couleurs, qui causa maintes insomnies à son évêque. Sa lignée paternelle avait compté un autre ecclésiastique  d’un genre tout différent : l’abbé Ancelin, né à Parfondeval en 1783, était le fils d’une sœur de Pierre Leleu, le fondateur de la « Garde de Dieu ». il occupa plusieurs postes importants des diocèses de Soissons et de Beauvais, fut nommé curé de St-Germain-l’Auxerrois, puis des Invalides, et aumônier des Tuileries sous Louis-Philippe. C’est lui qui officia lors du retour des cendres de Napoléon (fameuse promotion pour un galopin de Thiérache). Il était chevalier de la légion d’honneur.

En 1905, un petit-fils de Pierre Leleu, le docteur Coutant, de Paris, Chevalier de la Légion d’honneur pour son dévouement aux blessés de 1870, voulut revoir son village natal Grandrieux quitté depuis plus d’un demi-siècle. Il fit restaurer l’église à ses frais et institua une rente pour organiser une petite journée du souvenir. Chaque année, au lundi de la Pentecôte, une messe était dite pour les défunts de la famille Leleu et les assistants se voyaient inviter l’après-midi à un goûter amical (on savait vivre en ce temps-là). Cela devait durer jusqu’à l’extinction de la famille Leleu, puis la rente reviendrait à la commune. Hélas ! neuf ans plus tard c’était la guerre de 1914, son cortège de privations, d’épidémies, de morts, La famille restante fut des plus éprouvées et s’éteignit.

UN PETIT CENTRE ACTIF

Dés sa fondation. La Garde de Dieu avait acquis une certaine activité industrielle, qui ne survécut pas à l’invasion 14-18, on y vit, au cours des années, une briqueterie, une brasserie, deux petites fonderies artisanales, des commerce de produits agricoles, une laiterie. En 1908, l’abbé Maréchal, curé de Parfondeval, y créa une boulangerie coopérative qui dura peu.Certains ne désespèrent pas d’y voir, dans quelques années, un château d’eau pour l’alimentation des villages de la vallée de la Serre et de l’Anival.

Aujourd’hui notre hameau a perdu son importance économique. La carte Michelin l’ignore. Si, comme sur toutes nos belles routes, les voiture passent chaque année en nombre croissant (c’est la route touristique la plus courte entre Cologne et Paris) les voyageurs n’arrêtent guère que dans les centres aux hôtels plus ou moins étoilés. Nos villages tendent vers l’uniformité. On ne danse plus « sur le pavé ». les bacs à avoine qui ornaient la façade des bonnes vieilles auberges « rouliers » sont remplacés par des pompes à carburant. Ce simple fait de géographie humaine n’augmente pas le pittoresque. Sic transit…