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HISTOIRE D’UNE MAISON DE FAMILLE : LE VENDANGEOIR DE VORGESHistoire locale / Articles

Thème : PatrimoineCatégorie : BâtimentsCommune(s) : VORGESAuteur : Jean Besnard


JEAN BESNARD MARS 91


Esprit éclairé du SIECLE DES LUMIERES, Charles-Philbert REGNAULT (1741-1829) avait été trop séduit par la pensée de Jean-Jacques ROUSSEAU, pour ne pas partager, en entier, son amour de la nature au sein d’une vie simple et rustique.


Un amoureux rousseauiste de la nature : Charles-Philbert REGNAULT
Convaincu par la lecture des « CONFESSIONS » aussi bien que par la méditation des « REVERIES D’UN PROMENEUR SOLITAIRE » du caractère artificiel de la vie urbaine (dont il avait éprouvé les servitudes à PARIS dans le quartier du CLOITRE St MERRI, puis à LAON dans sa maison du n° 1 Rue du BOURG), l’ancien Président du Directoire Exécutif au Département de l’AISNE en 1793 et 1794 avait décidé en 1798, au moment où se mariait son unique fille Louise-Thérèse, de changer de cadre de vie.
Or, la constellation des « vendangeoirs » entourant la Ville de LAON d’un gracieux cortège de demeures des deux derniers siècles, lui entrouvrait une agreste fenêtre sur le monde de la vigne.
En effet, depuis le Xème siècle, bien des coteaux situés entre l’AISNE et l’ARDON s’étaient couverts de ceps. Aussi, dans la DUCHE-PAIRIE de LAON la pièce où le vin était pressé s’appelait : « vendangeoir ». Par extension, le même nom était donné à la maison noble ou bourgeoise, d’importance très variable, où le vin était fait.


Achat d’une première maison de vigne à CHAILLEVOIS
Aussi Charles-Philbert REGNAULT jetait-il son dévolu en 1791 sur une modeste maison de maître vigneron à CHAILLEVOIS, village situé à l’entrée d’une gorge sur la rive droite de l’AILETTE, à une lieue et demie à l’est d’ANIZY LE CHATEAU. Depuis le XVème siècle, les habitants de LAON y avaient des vendangeoirs. En 1780 le vignoble s’étendait sur vingt hectares. La demeure était le siège d’un « TRECENT » du Chapitre de la Cathédrale de LAON, seigneur du HAUT CHAILLEVOIS, bien comprenant : six pièces de vignes, une terre en trois parcelles, un jardin et un pré.
Deux maisons l’agrémentaient :
-une maison de maître consistant en « chambre, cabinet, cuisine, cellier, au dessous et petit caveau, foulerie dans .la cour, grande cour, un clos de vignes entouré d’arbres fruitiers en espaliers ».
-une maison de vigneron dans ladite cour.
Mais Charles-Philbert REGNAULT avait procédé à l’acquisition du bien par ministère d’Avoué pour son compte et celui de vingt et un vignerons pour le prix de 11 300 livres. Il ne conserva donc personnellement que la maison de maître et ses dépendances, peu de choses en définitive.

Son fils Philbert REGNAULT et sa fille Louise-Thérèse REGNAULT le pressèrent donc d’acquérir un domaine de toute autre allure. En 1807 précisément, un vendangeoir était mis en vente par ses propriétaires, les héritiers BAILLYAT de PRECHATEAU, à VORGES, village. Bâti au pied de la colline fermant au midi la vallée de l’ARDON, le mont BERTON.

Acquisition du vendangeoir de VORGES en 1807
C’est en effet en 1807 (année où NAPOLEON Ier institue le « Blocus Continental » de l’Angleterre et de ses colonies) que Charles-Philbert REGNAULT achète aux PRECHATEAU leur maison de VORGES. Malgré l’absence de l’acte translatif de propriété, la date de 1807 peut être retenue, Car elle coïncide avec l’époque du décès de Marie-Catherine Claire MARTIN de JALIGNY, femme de François-Nicholas BAILLYAT de PRECHATEAU. Au surplus le fait est corroboré par la tradition familiale rapportant qu’à la mort de son premier mari, Philippe-Joseph MENESSON, Maire à NEUFCHATEL SUR AISNE, survenue le 29 juillet 1808, Louise-Thérèse REGNAULT vint rejoindre son père au vendangeoir de VORGES.

Un vendangeoir du XVIIIème siècle
En termes sommaires, un acte de partage notarié passé à LAON le 14 juillet 1791, décrit ainsi la nouvelle demeure de Charles-Philbert REGNAULT :
« Une maison de maître située au Village de VORGES, habitation de vigneron, b’timents et dépendances, cour, basses-cours, jardin, pressoir, cuves et tous autres effets et ustancils de vendange, escalier. le tout, à la somme de 10 000 livres ».
Le même acte y ajoute la présence d’une « tour en erronce « .
Dans ses « VENDANGEOIRS DU LAONNOIS » parus en 1934-1935 le Comte MAXIME de SARS donne du vendangeoir de VORGES une, description plus vivante (p. 293) :
« Au midi de la Rugie de BRUYERES s’éleve une grande maison en briques et pierres un étage, entre cour et jardin, précédée d ‘un porche monumental la Cour est encadrée des bâtiments servant autrefois de vendangeoir ; le perron des deux côtés est fait de deux à trois marches en pierre et les bancs du jardin sont aussi cintrés.

Le constructeur de la demeure
Compte tenu de son style classique, inspiré des exemples parisiens du temps d’HENRI IV et de LOUIS XIII, le vendangeoir paraît avoir été édifié au cours du premier tiers du dix-septième siècle. Il a donc été construit pour le propriétaire du bien à l’époque Claude CHEVALIER, Avocat en Parlement et capitaine de la ville de LAON, mort en 1676. C’est lui qui donna sa plus grande extension à l’exploitation agricole du vendangeoir : 4 arpents de vigne en douze pièces.
Le règne des CHEVALIER
Jusqu’en 1763 trois générations de CHEVALIER se succédèrent dans la demeure :
-Claude Ier CHEVALIER, déjà nommé.
-Claude II CHEVALIER, Son troisième fils, seigneur des AUBLINS, Ecuyer, Président Trésorier de FRANCE à SOISSONS, mort en 1754.
-Marie-Elisabeth Clermonde CHEVALIER, fille de ce fonctionnaire du fisc, épouse d’Henry de VASSAULT, écuyer, seigneur de PARFONDRU

Mais la déconfiture de la sœur aînée de Marie-Elisabeth-Clermonde, une certaine Marie-Appoline, veuve de Joseph HAVART, seigneur de MONTHIEHUNT contraignit sa sœur cadette à poursuivre la vente forcée de la demeure, avec toutes ses aisances et dépendances : six arpents de bois en huit pièces, des maisons, terres et prés affermés, des droits seigneuriaux (droits honorifiques). Le tout fût ainsi adjugé en 1763 pour la somme de 11500 livres à Philippe MARTIN, Ecuyer, seigneur d’EZILES, Conseiller Honoraire en la Cour des Monnaies de PARIS. Pour trois générations encore les MARTIN prenaient la suite des CHEVALIER.


De nouveaux venus :
les MARTIN devinrent ainsi les maîtres du vendangeoir de VORGES
-Philippe MARTIN d’EZILES et son épouse Marie-Nicole BRANCHE morts respectivement en 1783 et 1791.
-Marie-Catherine-Claire MARTIN, leur fille mariée à François-Nicolas BAILLYAT de PRECHATEAU, capitaine dé grenadiers au Régiment de TOURAINE, mort en émigration.
-Alexandre-Anne-Philippe BAILLYAT de PRECHATEAU, fils des précédents, qui, en 1807, aliéna le bien au profit de Charles-Philbert REGNAULT.


Remise en état de la maison par Charles-Philbert REGNAULT
La décennie et demie écoulée entre 1789 et 1807 n’avait pas été propice à un vendangeoir appartenant à une famille de petite noblesse, ruinée ou exilée. L’entretien de la maison laissait beaucoup à désirer aussi, avec l’aide de sa fille Louise-Thérèse MENNESSON, Charles-Philbert REGNAULT entreprit-il de la restaurer et de la garnir très agréablement d’un mobilier, LOUIS XVI, en général. Mais une circonstance fortuite leur donna une occasion exceptionnelle d’orner la salle à manger du vendangeoir : Des grisailles peintes par Pierre-Paul PRUDION
En 1809, tirant de médiocres ressources de quelques rares commandes officielles, le peintre PierrePaul PRUDHON acceptait de vouer son talent à l’exécution, pour des particuliers, d’œuvres de décoration. Aussi se déplaçait-il dans les contrées les plus proches de PARIS pour se livrer chez des amateurs de sa peinture, à des travaux d’ornementation murale. Dans ces conditions, l’artiste brossa dans la salle à manger du vendangeoir de VORGES des « grisailles » aux sujets mythologiques, thèmes où sa notoriété s’affirmait. Malheureusement, ces œuvres d’art ont disparu lors de la destruction partielle de la demeure en 1917.
En attendant, une première invasion s’annonçait en 1814.


Irruption des cosaques en 1814
Début mars 1814, peu avant la bataille de CRAONNE, gagnée par les Français le 7 mars, les avantgardes des troupes russes de WINTZINGERODE se poussaient des pointes dans la direction de LAON. Parties de CORBENY, des « sotnias » de cosaques semèrent alors la terreur dans les villages de l’est du LAONNOIS.
L’une de ces escouades perce même jusqu’à VORGES où, (rapporte la tradition) quelques habitants, persuadés par une rumeur faisant de ces « sauvages » des consommateurs de chandelles, pensèrent se prémunir de leurs exigences et de leurs redoutables coups de lance, en leur offrant sur des assiettes… de beaux morceaux de suif. Y voyant une moquerie les cosaques se fâchèrent et, pour faire un mauvais parti à leurs occupants, se répandirent dans toutes les plus belles maisons du village, y compris le vendangeoir des REGNAULT, où le sang-froid de Charles-Philbert REGNAULT réussit à calmer leur fureur.

Jours tranquilles sous la restauration
Aux CENT JOURS, gagnant la Belgique pour y subir la défaite finale à WATERLOO le 18 juin 1815, l’Empereur passant à l’ouest des murs de LAON défilait avec ses troupes à l’opposé de VORGES. A distance, une habitante du vendangeoir y suivait cependant en esprit l’évènement se déroulant à VAUX SOUS LAON : la présentation à Napoléon I8′ de la Garde Nationale de LAON par son commandant. C’était Louise-Thérèse REGNAULT dont le second mari Jean-Auguste OYON se trouvait en effet à la tête de cette unité et était le même jour décoré de la Légion d’Honneur par l’Empereur, sur le front des troupes.
Avec le retour de la paix, l’existence au vendangeoir reprit son cours normal dans la quiétude.
En grands-parents attentifs Charles-Philbert et Antoinette-Thérèse se penchèrent avec le même attrait sur leur descendance.
Qu’il s’agisse de l’unique petit-fils de leur fils Philbert REGNAULT (1769-1845), le jeune Ernest REGNAULT mort dans la fleur de l’âge (1833-1863)
Qu’il s’agisse des enfants de leur fille Louise-Thérèse (1779-1869), nés de ses deux unions :
Hortense MENNESSON mariée à LAON le 24 juillet 1827 au Docteur Augustin GANAULT (SAUMUR 4 janvier 1778 – VORGES 1873), Louis-Auguste OYON né le 21 novembre 1811 ou encore Octavie OYON née en 1813.
Avec ces joies toutes simples, les jeux de société et la lecture occupaient une grande place dans les loisirs des habitants de la demeure. Même chez les gens âgés, comme le Docteur Augustin GANAULT le « nain jaune » faisait fureur au vendangeoir où la majorité des joueurs préférait néanmoins les surprises du WHIST.
Mais la lecture restait â VORGES l’activité par excellence. Sans pouvoir oublier le temps, lointain déjà, où il était professeur de belles-lettres : français, latin, grec, au Collège des Quatre Nations à PARIS, Charles-Philbert s’était donné une somptueuse bibliothèque où trônaient tous les grands classiques. Il fallait le voir, un tome à la main, se délecter à la lecture de VOLTAIRE, de CREBILLON et de BUFFON. Pour pimenter les plaisirs de la lecture, il prisait de l’herbe à NICOT dans une tabatière en écaille blonde, toujours conservée par Jean BESNARD. D’une extrême curiosité d’esprit il possédait deux séries (aujourd’hui détenues par ses descendants LARRARD), de l’Encyclopédie de DIDEROT, l’une brochée, jouant le rôle d’un exemplaire de travail – l’autre reliée en pleine peau, appelée à briller sur les rayons de la bibliothèque.
Mais le 6 mai 1827 un deuil l’accablait en la personne, très aimée, de sa femme : Antoinette-Thérèse BERTHAULT. Fort affecté, il ne tardait pas à la suivre dans la tombe, ouverte pour eux au Cimetière de VORGES (où tant des leurs devaient les rejoindre lors des décennies suivantes), puisqu’il mourait dans sa demeure le 22 mars 1829 à quatre-vingt huit ans.


Trois générations de REGNAULT
Avec la mort de Charles-Philbert REGNAULT disparaissait la première des trois générations de REGNAULT devant posséder le vendangeoir. Au terme de cette période (1807-1829), commençait le règne de son fils Philbert REGNAULT, Commissaire des Guerres de son état (1769-1845), dont un portrait de 1829 perpétue sa « trogne enluminée » d’intendant militaire paillard, n’ayant pas fait le bonheur de sa femme Thérèse DORIGNY (1769-1856). Succédait à Philbert REGNAULT en 1845, le petit-fils de Charles-Philbert : Ernest REGNAULT (1801-1861), décédé sans postérité survivante.
Du fait de l’extinction de la descendance masculine de Charles-Philbert portant le nom de REGNAULT, une redoutable incertitude pesait sur le sort. è. venir du Vendangeoir. A qui, en effet, Elisa MENNESSON, veuve d’Ernest REGNAULT en 1861, léguerait-elle à sa mort la demeure familiale ?… A sa sœur Hortense MENNESSON, femme du Dr Augustin GANAULT… à son frère Louis-Auguste OYON ? Aux prises avec ce dilemme, Elisa REGNAULT se faisait un malin plaisir à entretenir une savante équivoque au sujet de ses intentions.
En attendant la divulgation des dernières volontés d’Elisa REGNAUJLT, la. Révolution de 1848 puis l’avènement de Louis-Napoléon BONAPARTE, mettait à l’honneur puis à la peine, l’un de ses frères Antoine-Charles-Philippe MENNESSON.


Un MENNESSON Commissaire de la République du Département de l’AISNE en 1848
D’abord libraire-éditeur et publiciste à LAON de 1834 à 1840, Antoine-Charles-Philippe MENNESSON, fils de Louise-Thérèse REGNAULT, avait transformé en organe politique, aux tendances libérales, le Journal d’informations locales : « L’OBSERVATEUR de l’AISNE ».
A son entrée dans la politique active, il avait cédé ce journal à Louis-Auguste OYON, son demi-frère. Le 1er mars consacrait son triomphe personnel avec sa nomination aux fonctions de Commissaire du Gouvernement Provisoire de la République, Préfet de l’AISNE.
Avec un entier dévouement à ses idées, Antoine-Charles-Philippe MENNESSON remplissait ce rôle difficile jusqu’au 30 octobre 1849. Le coup d’état du 2 décembre 1851 y mit alors un terme. Arrêté, déféré à la justice et condamné au bannissement, ce sincère républicain dût en avril 1852 prendre le chemin de l’exil.
il trouva refuge en Belgique où une hémiplégie le cloua bientôt sur un fauteil roulant.
Sans y être autorisé, Antoine-Charles-Philippe MENNESSON rentra cependant dans son pays à la fin du mois d’octobre 1859. Elisa REGNAULT, sa sœur, l’accueillit dans sa maison de VORGES où il rendait le dernier soupir le 15 mars 1869, quelques semaines avant la mort de sa mère, Louise-Thérèse REGNAULT-OYON, survenue le 26 mai 1869.


Vingt années de bonheur
Le triste destin réservé au Préfet MENNESSON ne pouvait pourtant pas compromettre le paisible climat où vécurent les habitants du vendangeoir de 1848 à 1868. Intensément, la vie y gravitait autour de deux personnes, mère et fille : Louise-Thérèse OYON-REGNAULT et Elisa MENNESSON-REGNAULT
Dans de très émouvants « SOUVENIRS D’ENFANCE ET DE JEUNESSE » Thérèse OYON-BESNARD en évoque la chaleureuse atmosphère :
« Appartenant déjà depuis longtemps à la famille REGNAULT, la maison de VORGES était habitée toute l’année par ma tante Elisa REGNAULT, sœur ainée de mon père, qui avait épousé son cousin germain. Elle était laide, avec de petits yeux noirs, de grosses joues et un nez trop court ; mais sa figure, encadrée de papillotes, respirait la bonté. Petite, grosse, elle portait toujours une robe de même coupe, avec une jupe très foncée et rasant le sol. L’étoffe en était parfois très riche mais c’était toujours la même façon. A une grande bonté, ma tante joignait un jugement très droit, un esprit cultivé, très fin, parfois caustique. Très bonne pour tous ses neveux et nièces, elle voulait qu’ils fussent chez elle heureux et contents et n’épargnait rien pour nous faire plaisir.
Mais le matin, alors que chacun faisait ce qu’il lui plaisait, avant qu’on se réunisse pour le déjeuner, alors que la maison retentissait de nos chants et de nos rires, on la trouvait souvent seule dans sa grande chambre, pleurant amèrement le fils tant aimé qui aurait du être l ‘âme de la vieille maison.
Thérèse OYON-BESNARD ajoute :
« En même temps que nous (ses parents, son frère René et elle-même) les hôtes de ma tante étaient ma tante et mon oncle le Docteur GANAULT. Ce dernier, tombé en enfance, était uniquement occupé à fermer les portes de peur des voleurs. »
Puis venaient « leurs fils Gaston avec sa femme, leur fille. Marie MORIN et ses fils.
Ma tante recevait encore ses neveux et nièces Louise et Auguste MATTON, Jenny et Armand MENNESSON ; enfin des amis.
A proximité du vendangeoir familial, poursuit Thérèse OYON-BESNARD, « Il y avait beaucoup de réunions, surtout des soirées dansantes. Tout le monde dansait et on voyait, par exemple, un vieillard de quatre-vingt ans, Monsieur de MOYDIER, ancien officier de marine, faire des pas vis-à-vis de ses petits-enfants, les fils de ce pauvre Général THEREMIN d ‘HAIME, qui devait mourir de l’explosion de la Citadelle de LAON qu’il commandait. En attendant tout était plaisir à VORGES jusqu’aux retours dans la nuit après les réunions données en soirée.
Chaque famille revenant à pied, avait une lanterne pour éclairer la route jusqu’à son logis et, au sortir de la maison hospitalière, c’était une véritable promenade aux lanternes puis, dans la nuit, chaque lumière s’éloignait dans une direction différente, comme une étoile tremblotante à travers la campagne. »
Le jardin du vendangeoir de VORGES n’était pas moins délicieux.
« C’était une éminence appelée le « labyrinthe », un petit chemin bordé de haies menait au sommet planté de tilleuls ; on y avait installé une table et un banc circulaire. De là on dominait la campagne et la maison étant assez éloignée, on jouissait d’un calme profond. C’est là que je venais, seule, m’installer pour lire le matin , là j ‘ai lu IVANHOE. Lucie de LAMIIERM00R, le CONNETABLE de CHESTER. Quentin 0URWARD et bien d ‘autres romans de WALTER SCOTT, à VORGES ma lecture favorite. Ces plaisirs insouciants ne parvenaient pas pour autant à dissimuler le malaise profond pesant sur le sort de la demeure.


Une tension familiale contenue
Elisa REGNAULT-MENNESSON n’avait plus d’héritier direct. De sa seule volonté ou presque, dépendait le choix de celui de ses proches à qui le vendangeoir serait légué.
Une option s’ouvrait à elle :
-ou bien prendre pour héritier son frère Louis-Auguste OYON
-ou bien transmettre sa succession à sa sœur Hortense-Marie MENNESSON, femme du Docteur Augustin GANAULT.
Résoudre dès à présent ce dilemme de façon tranchée gênait Elisa REGNAULT-MENNESSON. Aussi adopta-t-elle une attitude ambigüe vis-à-vis de ses héritiers potentiels. Un moment, à l’origine, elle parut incliner en faveur de son frère Louis-Auguste OYON, en lui demandant d’exécuter, à ses frais, dans la maison dont il serait l’héritier, certains travaux, ce qu’il fit en toute confiance en la sincérité de la parole de sa sœur. Subrepticement pourtant, Elisa REGNAULT prodiguait les mêmes assurances à sa sœur Hortense MENNESSON-GANAULT.
Succombant finalement aux invites pressantes de celle-ci de lui donner la préférence, Elisa MENNESSON, sans prévenir son frère Louis-Auguste OYON de son revirement, institua par testament sa sœur Hortense GANAULT, pour légataire universel, à charge seulement de délivrer de menus legs particuliers, à plusieurs de ses parents, dont un souvenir insignifiant à ses petits-enfants OYON, Thérèse et son frère René. Ainsi la demeure familiale devenait, à la suite d’un véritable coup de théâtre, l’apanage exclusif de la famille GANAULT. L’évènement provoquait, très vite, la rupture des relations entre Louis-Auguste OYON et sa sœur Hortense GANAULT.

Une brouille éclatante
L’incident surgit le 10 septembre 1870 dans le grand salon de la maison de VORGES. L’écho, amorti, nous en a été, pour partie, répercuté par Thérèse OYON-BESNARD :
« L’après-midi nous allâmes tous à VORGES, où mon père s’entretint d’abord avec Monsieur BESNIER, un ami de ma tante REGNAULT. Puis il eût avec ma tante GANAULT une explication à laquelle René et moi nous n’avons pas assistée, mais à la suite de laquelle il nous dit que nous retournions immédiatement à LAON et qu’il fallait que nous allions dire adieu à notre tante.
Nous y sommes allés…
« J’espère, mes enfants, nous dit-elle, que nous nous reverrons dans des temps meilleurs. »
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Un mauvais vent soufflait, du reste, à cette époque dans les rapports entre les OYON et les GANAULT. Estimant que son long passé républicain, attesté sous l’Empereur par les campagnes de son Journal l’OBSERVATEUR de l’AISNE et par sa comparution aux assises de la SOMME pour délit d’opinion, lui ouvrait une vocation prioritaire, vis-à-vis de quiconque, à poser sa candidature aux prochaines élections législatives, Louis-Auguste OYON était venu à LAON pour la présenter. Or avec stupeur, en arrivant au chef-lieu de l’AISNE, il apprit que son neveu Gaston GANAULT, au courant de ses propres intentions, l’avait devancé en faisant lui-même acte de candidature, contrairement à ses promesses antérieures. Non sans amertume, Louis-Auguste OYON renonça à son projet et son neveu fût élu.


Les prussiens occupent le vendangeoir de VORGES
La défaite aux frontières des armées impériales ouvrait grande aux troupes prussiennes le chemin du département de l’AISNE. Le 9 octobre 1870, les forces prussiennes du Général d’ALVENSLEBEN avaient envahi LAON et le LAONNOIS : leurs unités s’étaient répandues dans toute la contrée. Officiers et soldats prussiens s’hébergeaient avec brutalité dans la maison de leur choix.
Dans la demeure familiale, les GANAULT eurent ainsi maille à partir plusieurs mois durant avec des militaires prussiens, pleins de morgue et de désinvolture. Ils durent même en supporter à leur table : l’habitant étant tenu d’y recevoir l’officier qu’il logeait.
L’occupation prussienne se faisait aussi plus lourde dans les campagnes du LAONNOIS qu’à LAON même, qui pourtant l’avait échappé belle. En effet, à la suite de l’explosion de la Citadelle de LAON, provoquée par la Garde du génie HENRIOT malgré la promesse de reddition pure et simple de ses défenseurs, des officiers prussiens, outrés de ce manque de parole, avaient décidé, rien moins que d’incendier la ville et sa Cathédrale.
L’énergique opposition du Général d’ALVENSLEBEN à la perpétration ce double crime, sauva l’une et l’autre de la destruction.
Ainsi, bien des décennies auparavant, cet officier général prussien joua à LAON un rôle aussi louable que celui du Général de CHOLTITZ à PARIS en 1944.
Tandis que les nouveaux affrontements sanglants entre français et allemands séparaient plus encore les deux peuples, rien ne pouvait apparemment non plus rétablir dans leur ancienne harmonie les relations de famille rompues entre les OYON et les GANAULT, que ceux du passé.
Mais les effets du temps, joints à la force d’un amour, allaient produire le miracle les obligeant à se réconcilier.


Roméo et Juliette
Frère et sœur, Louis-Auguste OYON et Hortense GANAULT avaient simplement oublié que lui avait un fils, René-Maurice OYON et elle, une petite-fille, née de son fils Gaston GANAULT : une seconde Hortense GANAULT.
Certes, tout semblait fait pour éluder la rencontre de ces deux êtres, et pourtant le prodige se réalisa.
René OYON distingua Hortense GANAULT, à vrai dire charmante (leur fille Thérèse OYON tenait beaucoup sa séduction de sa mère) ; l’incroyable se fit alors : percepteur à ASFELD SUR AISNE, grâce à
la protection de Gabriel MANOTAUX, Ministre des Affaires Etrangères, ami de la famille OYON, le jeune homme eut l’audace de demander à l’affable Gaston GANAULT, la main de sa fille Hortense, née en 1869, qui y adhéra elle-même. Elle lui fut accordée, en dépit des réticences dernières de Madame Gaston GANAULT, et de leur mariage, célébré en 1893 naquit le 8 août 1894 Thérèse OYON, future épouse de Paul LILAMAND, parents de Janine et de Gérard LILAMAND.
Grâce à la petite-fille de Louis-Auguste OYON, Thérèse OYON, le vendangeoir de VORGES allait revenir un jour à la famille OYON. De plus se rétablissaient en 1893 entre Thérèse OYON-BESNARD et tous les GANAULT des liens familiaux aussi affectueux que ceux du passé.


Retour à VORGES des OYON-BESNARD
De son côté d’ailleurs, Thérèse OYON, sœur de René OYON, avait œuvré avec persévérance en faveur du retour à meilleure fortune de ses relations avec ses cousins GANAULT. Dans l’intervalle elle était devenue le 30 décembre 1880 la femme d’un Ingénieur Jean BESNARD, qui devait lui donner quatre fils. Marcel en 1882, René en 1884, André en 1887 et Paul en 1890.
A partir de 1893 et plusieurs années de suite, Jean et Thérèse BESNARD, accompagnés de leurs fils, répondirent à l’invitation de Gaston GANAULT et de sa femme et vinrent passer quelques journées de vacances d’été dans la chère maison de VORGES. Ces séjours forts agréables donnèrent naissance entre Marcel et René BESNARD et les enfants de Gaston GANAULT, Ernest, Charles, Jeanne, Thérèse et Louise, à des liens de sympathie.
Par malheur l’année 1896 apportait aux deux familles un deuil cruel : d’un cancer inexorable disparaissait le 22 décembre 1896, à peine âgée de 27 ans, la toute jeune encore Hortense GANAULTOYON. Accablé par ce veuvage précoce, incapable de le supporter, René OYON cherchant dans l’alcool une trompeuse consolation mourait prématurément en 1899, laissant une orpheline d’à peine cinq ans, leur fille Thérèse OYON, recueillie par sa grand-mère GANAULT, elle-même veuve depuis le 1er août 1894.


Le vendangeoir à la belle époque
Au moment où à six ans de la Belle Epoque meurt Gaston GANAULT, Avocat au Barreau de LAON, Bâtonnier de l’Ordre, Député de l’AISNE et Adjoint au Maire de LAON, s’annonce la troisième génération du nom de GANAULT, propriétaire de la demeure familiale. Ernest GANAULT, Docteur en Médecine et Député de l’AISNE et sa sœur Louise l’incarnent avec chaleur. Pendant vingt ans, de 1894 à 1914, le vendangeoir va vivre intact, tel que le passé l’avait créé et décoré. Tous deux célibataires, Ernest et Louise GANAULT y veillent attentivement sur la jeunesse de leur nièce Thérèse OYON. En 1914, la belle jeune fille est fiancée à son cousin Paul MORIN de CHARLEVILLE. Et pour le début du mois d’avril 1914, la réception de leurs noces se prépare dans la maison de VORGES. Mais l’histoire en décide autrement.


Invasion Quatorze
Car le malheur s’abat sur la France et sur les fiancés. Déferlant sur la Champagne et la Picardie, la IIème Armée Allemande de BULOW prend LAON le 2 septembre 1914 et investit alors le LAONNOIS.
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Pour échapper à l’encerclement, nombre d’unités françaises (dont le 129ème Régiment d’Infanterie, où René BESNARD sert comme sous-officier) prennent la direction de l’est, gagnant à marches forcées FISMES et les environs de REIMS. En passant ainsi non loin de VORGES la pensée du jeune sergent se tourne tout naturellement vers la maison de famille et ses habitants. Occupant VORGES, les troupes ennemies y entreprennent le pillage des caves remplies de bouteilles de Champagne, au vignoble tout proche.
Les vins préparés dans le vendangeoir pour être servis au mariage des promis durent subir le même sort. Légèrement atteint en ARGONNE, Paul MORIN succombera pourtant en novembre 1914 à LYON à ses blessures, rendues mortelles par un tétanos contracté dans le malpropre véhicule l’évacuant du front. Surnommée « MIMI » par ses proches, Thérèse OYON vivra sous le joug germanique de longues et dures années d’occupation.


Trois années d’occupation
Au rez-de-chaussée de la grande maison, envahi par leurs troupes, des militaires allemands de tout grade cantonnent constamment. Au premier étage se sont repliés les trois membres de la famille demeurés sur place, la veuve de Gaston GANAULT, sa fille Louise GANAULT et leur petite-fille et nièce Thérèse (MIMI) OYON. Elles y supportent avec peine cette pénible promiscuité. Aux prises avec les privations, les dangers, les souffrances morales les plus lancinantes, elles traversent ainsi plus mal que bien, les années 14, 15 et 16. Et le printemps de 1917 verra leur calvaire porté à son paroxysme.


Bombardement du vendangeoir : 15 avril 1917
Au début de 1917 un espoir de libération luisait cependant dans les esprits des français occupés : de l’autre côté du Chemin des DAMES nos troupes préparaient, sous l’impulsion d’un nouveau commandant des armées du NORD et du NORD-EST : le Général NIVELLE, une bataille devant donner à nos combats « un caractère décisif ». La bataille de rupture conçue par le nouveau chef avait pour but d’enlever les positions organisées de l’ennemi sur un front étendu et de créer une percée profonde pouvant aller jusqu’à entrainer la défaite de l’Allemand. Au pied du Chemin des DAMES se rassemblaient à cet effet les Vème et VIème Armées Françaises, comprenant chacune 14 divisions réparties entre 4 corps d’armée.
L’attaque de la véritable forteresse constituée par les défenses allemandes du Chemin des DAMES, devait être précédée d’une intense préparation d’artillerie. L’aviation française, nettement dominée par celle de l’adversaire en raison de son insuffisance numérique et du défaut d’idées tactiques judicieuses sur l’emploi des avions, devait, toutefois, appuyer l’offensive par la reconnaissance des travaux ennemis et pour la direction et le contrôle des tirs de destruction.
Le 16 avril 1917 nos troupes attaquaient l’ennemi sur un large front avec un entrain admirable. Si le mauvais temps, la pluie et l’humidité freinaient leur avance, avant tout la résistance ennemie leur interdisait de progresser au-delà de quelques kilomètres, parfois de quelques centaines de mètres.
C’était l’échec dès le 20 avril au soir et les troupes françaises étaient à bout de forces. Dans ce contexte militaire désolant se situe le bombardement du vendangeoir.


Circonstances du bombardement
Dans les premiers jours d’avril 1917, la partie du LAONNOIS jouxtant au nord le Chemin des DAMES, regorge de divisions allemandes, ainsi, la VIIème Armée Allemande dont le PC se situe non loin de VERVINS ne compte pas moins en avant de LAON 15 divisions de première ligne et 6 divisions de réserve.
Ce pullulement germanique entraine une occupation militaire encore plus dense des maisons demeurées habitables des villages situés aux alentours de PRESLES et de BRUYERES et MONT BERAULT. En particulier, au rez-de-chaussée du vendangeoir est installé le Poste de Commandement d’une unité régimentaire et peut-être même divisionnaire. Le nombre des officiers’ supérieurs y ayant leur bureau souligne en tout cas son importance. Mais les jours de ces envahisseurs étaient comptés : le 15 avril 1917 une « bombe » s’abattait de plein fouet sur la grande maison. L’engin de mort lancé par les Français atteignait, par un véritable miracle, l’objectif poursuivi par son envoi anéantir l’étatmajor ennemi, sans toucher, si possible, aux habitants français du, vendangeoir.
Mais deux versions différentes des modes de réalisation du bombardement de la maison sont parvenues jusqu’à nous :
-Pour certains habitants de VORGES, restés sur place en 1917, tels que Monsieur CARLIER et Madame CHARPENTIER, ce serait un obus de gros calibre qui aurait endommagé la maison. En ce cas, le projectile aurait été lancé par l’un des plus puissants canons des 5 350 engins de toute portée mis à la disposition des Vème et VIème Armées Françaises : ce qui donnait une pièce lourde ou de campagne par vingt mètres de front.
-Pour d’autres (dont le Docteur Ernest GANAULT, absent il est vrai de VORGES, puisque mobilisé à l’époque comme médecin, et pour Thérèse OYON-LILAMAND, présente au contraire dans le vendangeoir), la bombe aurait été jetée par un avion français.
Dépêché spécialement par le commandement français (averti par des patriotes de VORGES ou environs de la présence dans le vendangeoir cl un état-major allemand) pour détruire la maison où il s’abritait. Après tant d’années il est bien difficile de dégager la vérité des faits. Tout au plus peut-on dire que les deux versions du bombardement ne sont peut-être pas inconciliables, compte tenu notamment du rôle affecté à l’aviation française.
En d’autres termes, un aéronef militaire français aurait assuré la direction d’une mission spéciale de destruction confiée à un obusier de gros calibre.


Un vrai miracle
Quelque soit le processus suivi par nos armes, celles-ci font mouche : plus d’allemands vivants dans les ruines du vendangeoir, nos trois françaises indemnes dans les décombres.

Que s’était-il passé ?
Un peu avant l’impact de la « bombe » Madame Gaston GANAULT, sachant que VORGES et ses habitants allaient être évacués le lendemain par les allemands, avait décidé de brûler des papiers dans la cheminée de sa chambre du premier étage. Dans le bruit et la poussière produits par l’explosion de la bombe, Louise GANAULT et Thérèse OYON, indemnes, étaient accourues et avaient
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trouvé leur mère et grand-mère coincée dans un trou du plancher. En vain tentèrent-elles de l’extraire de son inconfortable position.
De leur côté des soldats allemands s’affairaient dans les gravats de la maison pour tenter de dégager leurs officiers s’ils étaient encore en vie. En réalité tous étaient morts, tués apparemment par le souffle de la bombe.
Dans la position critique où se trouvait Madame Gaston GANAULT, encore aggravée par le feu provoqué par l’explosion de la bombe, ses filles et petite-fille n’avaient plus d’autre ressource que d’appeler à son secours un soldat allemand. Thérèse OYON, qui parlait leur langue, se chargea de cette requête, agrée aussitôt par un soldat plus humain que d’autres.
Mais ce militaire fit alors comprendre que la seule façon pour lui de sortir de son carcan une vieille dame d’aussi fort embonpoint supposait qu’elle le prit par le cou. Invitée à le faire, Madame Gaston GANAULT s’y refusa d’abord en s’écriant « qu’il n ‘était pas question de prendre cet allemand par le cou, alors quelle avait à la guerre deux fils dont elle était sans nouvelles » (Ernest et Charles GANAULT). Mais Louise GANAULT et Thérèse OYON finirent par la faire céder et dans un grand nuage de poussière l’emprisonnée sortit à temps d’un piège fatal s’il avait duré quelques minutes encore. Son soulagement était vif et le moindre crédit ne doit pas, semble-t-il être attaché à un récit complémentaire de son sauvetage suivant lequel, au moment d’être extraite de sa gangue de décombres, Madame Gaston GANAULT se serait exclamée : « Laissez-moi, je préfère mourir que de montrer mes jambes à cet allemand »…
Le lendemain, en longues colonnes, les habitants de VORGES étaient évacués d’autorité par les allemands.
Madame Gaston GANAULT, sa fille Louise et sa petite-fille Thérèse quittaient la mort dans l’âme leur maison en ruines. Plutôt que d’emporter le trousseau préparé avec amour par Thérèse OYON en vue de son union avec Paul MORIN, Louise GANAULT la persuada, dans la crainte bien réelle de disette, de prendre avec elles des… haricots. Nanties d’un faible bagage, les trois femmes prirent ainsi la route d’AUBENTON.
Exposés à tous les pillages, les décombres du vendangeoir allaient demeurer à l’abandon jusqu’à la libération du LAONNOIS par les troupes du Général MANGIN le 15 octobre 1918.


Une restauration exemplaire
Le vendangeoir était-il « mort au Champ d’Honneur » ?
Avec tant d’églises, de châteaux, de simples maisons du LAONNOIS, verrait-il ses restes rasés et, construire à son emplacement, une villa normande, bretonne ou… même basque; bref, après destruction par les Allemands de sa parure séculaire, contribuer à tuer à son tour l’âme du LAONNOIS. Si la plupart y consentirent, Ernest GANAULT et Louise GANAULT sa sœur, propriétaires des ruines de la demeure, s’y refusèrent.
Sa vaste toiture éventrée, des monceaux de décombres entassés en son centre, le bâtiment, presque coupé en deux, gisait sur le sol comme un grand fauve mortellement blessé. D’aussi profondes
atteintes paraissaient faire d’un projet de réparation, une pure et simple vue de l’esprit. Mais le frère et la sœur ne reculèrent pas devant l’entreprise.
En tant que député de la première Circonscription de LAON depuis le 24 avril 1910, comme successeur aussi d’une lignée laonnoise possédant la demeure depuis 1807, Ernest GANAULT estimait de son devoir de la restaurer. Difficile à mener à bien, la remise en état du vendangeoir, réalisée en quelques deux ans, récompensa si bien ses efforts que, dans ses « VENDANGEOIRS DU LAONNOIS » (p. 293), le comte Maxime de SARS qualifiait la maison d’élégante construction, qui a résisté aux guerres et aux révolutions »..

A quelque chose malheur est bon
Au temps de la dévastation du LAONNOIS par la première guerre mondiale, succéda une intense quoique souvent médiocre permis de reconstruction, suscitant l’irruption sur place d’une foule d’entreprises, d’architectes, d’ingénieurs, de main-d’œuvre.
Parmi ces bâtisseurs se remarquait un jeune ingénieur électricien Paul LILAMAND, pur provençal puisque né le 4 mai 1890 à SAINT REMY de PROVENCE, exilé en PICARDIE par la reconstruction des régions dévastées par la guerre. Il rencontra la nièce d’Ernest GANAULT, Thérèse OYON, se plurent mutuellement et bientôt l’épousa le 4 mai 1922. Une ère LILAMAND se profilait à l’horizon.


De nouveaux nuages à l’est
Pour avoir vécu au temps de deux invasions : celle de 1870, survenue un peu après sa naissance le 12 mars 1868 et celle de 1914-1918, en qualité de médecin, Ernest GANAULT voyait avec inquiétude s’élever Outre-Rhin de nouveaux périls.
Son passé parlementaire témoignait de son inaltérable patriotisme. Ardent jacobin autant que républicain convaincu, à la différence de certains de ses amis, il avait voté en 1913 la loi de trois ans de service militaire, indispensable, à son sens, à la sécurité du pays.
Conscient de l’importance militaire (pour le maintien des relations de la France avec ses possessions d’outre-mer) des liaisons maritimes interocéaniques, il avait activement participé aux travaux de la Commission de la Marine de Guerre de la Chambre.
Dès 1932, le réveil du nationalise allemand le préoccupait : en juillet de cette année, président à l’inauguration du monument aux morts de la commune voisine de LAVAL en LAONNOIS, après avoir mis en parallèle l’amour de la paix manifesté par la jeunesse de France et l’esprit de revanche des jeunes générations allemandes, il s’écriait d’ailleurs :
« Demain quand il se sentira plus fort, le gouvernement allemand n’hésitera pas reprendre à la POLOGNE la partie de territoire que le traité de VERSAILLES l’a obligé à restituer.. »
En 1933 l’avènement d’HITLER à la Chancellerie du REICH avivait encore ces justes craintes.
Le 15 mai 1936, à ses cousins René BESNARD et Jean BESNARD, (qui, le second, découvrait le vendangeoir familial) l’ancien député les leur confiait avec gravité, et dans la quasi certitude d’une prochaine et nouvelle invasion allemande, leur faisait part de son opposition formelle au projet conçu par ses concitoyens de lui élever après sa mort un buste de… bronze.
Ces vues prémonitoires devaient rapidement se vérifier.
Dans la vieille maison de famille, Ernest GANAULT mourait le 22 juin 1936, et passant outre à ses volontés clairement exprimées, ses admirateurs faisaient ériger son buste en un carrefour de VORGES, en place pour encore peu de temps. Car déjà l’ennemi de toujours annonçait sa nouvelle venue.

Invasion quarante
Quatre ans justes après la mort d’Ernest GANAULT, les unités du XIXème Corps d’armée allemand croisent déjà, le 17 mai 1940, aux abords de la vallée de la SERRE.
L’avant-veille, le Colonel de GAULLE, chargé de le contre-attaquer de flanc au moyen d’une 4ème Division Cuirassée, en voie de formation, a fait une apparition à BRUYERES où il déjeune sommairement et traverse VORGES.
Le futur auteur de l’Appel du 18 juin 1940 se multiplie, le voici le 19 mai 1940 à l’aube, juché sur le réservoir de la gare de LAON expliquant à des civils ahuris et réconfortés les grandes lignes de l’attaque imminente esquissée par la 4ème DC vers la vallée de la SERRE.
Mais faute d’infanterie, de soutien, sa 8 ème demi-brigade ne peut enlever les ponts de la petite rivière, tenus solidement par l’ennemi. Et dans la brèche ouverte à l’est de LAON par son repli, s’engouffrent les colonnes de la WEHRMACHT.
VORGES est pris le 20 mai 1940 tandis qu’en chantant la célèbre SIDI-BRAHIM meurent à quelque distance, les derniers défenseurs du Château de CHAMBRY, héroïques alsaciens du 4ème Bataillon de Chasseurs à Pied.
Sans subir cependant de sensibles dommages, cinq longues années, le vendangeoir de VORGES vivra les heures sombres d’une cruelle occupation. Comme il en avait eu la prescience, le buste de bronze d’Ernest GANAULT fut enlevé par les allemands et envoyé par eux à la fonte.
Mais, avec la victoire du 8 mai 1945 le temps des LILAMAND approchait..


L’ère des LILAMAND
Devenue, au moins moralement, la fille adoptive de son oncle Ernest et de sa tante Louise GANAULT, la jeune orpheline d’ASFELD était devenue tout naturellement l’héritière de leur demeure. Sauf à respecter des droits viagers reconnus à deux filles de sa tante Jeanne HACQUART, Madeleine et Simone HACQUART, Thérèse OYON-LILAMAND recevait ainsi vocation à devenir un jour la « Dame » de VORGES.
Par malheur le sort en décida autrement : après avoir eu le 21 mars 1923 sa fille Janine LILAMAND et donné le jour le 20 novembre 1935 à son fils Gérard LILAMAND, elle ne lui survécut qu’un seul mois en mourant le 21 décembre 1935 au grand désespoir de tous les siens.
Par représentation de leur mère et sous la tutelle de leur père Paul LILAMAND, les deux mineurs devenaient à la mort de Louise GANAULT les nouveaux propriétaires du vendangeoir. Au décès de Paul LILAMAND survenu le 30 juillet 1972, ils bénéficieront du plein de leur droit de propriété sur la demeure où Janine mourait le 28 avril 1990. 14
Le vendangeoir en voie d’entrer officiellement dans l’Histoire_
Au terme de presque quatre siècles d’une histoire mouvementée, survivant miraculeux aux périls guerriers des marches picardes de la France, le vendangeoir de VORGES apparait, en ces dernières années du vingtième siècle, comme un témoin si marquant du passé du LAONNOIS, que le 24 octobre 1990 il était l’objet d’une délibération administrative favorable à son inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.
Que cette consécration ne fasse oublier à quiconque l’anniversaire du deuxième centenaire de l’entrée de la demeure dans le patrimoine des aïeux de Gérard LILAMAND

2007
A qui cette étude est dédiée.