Commune(s) : ESSIGNY-LE-GRANDAuteur : Pierre GOBEAUX
Texte de Pierre GOBEAUX
Essigny le Grand – Juillet 1996
Après une vie professionnelle bien remplie, Pierre GOBEAUX s’est tout d’abord attaché à établir l’arbre généalogique de sa famille du côté maternel, née COLLET-SEILLIER, originaire d’Essigny le Grand dont il a pu remonter la filière jusqu’en 1697, sous Louis XIV. Ensuite, il a mis par écrit ses souvenirs, les récits de son grand-père COLLET et effectué quelques recherches sur l’histoire locale. Quelques-uns de ses textes ont été publiés en leur temps dans le bulletin communal
L’église avant et après 1914
Sources : extraits d’archives historiques du département.
Construite au bord de la route (aucun trottoir entre les contreforts et la rue), l’église d’Essigny le Grand s’élevait au milieu du village, au point culminant de la Grand’Rue. Le chœur et le sanctuaire, très anciens, ont été construits en grés du pays et étaient surmontés d’une tour massive construite elleaussi en grès, et qui servait anciennement avec les forts de lieu de refuge et de défense pour les habitants du pays. Cette tour était plus forte que celle de Rémigny et plus large que celle du Beffroi de SaintQuentin (tour de l’église St-Jacques).
Sa plate forme était ceinte de mâchicoulis avant qu’elle ne fut surmontée d’un clocher triangulaire, aigu, ardoisé et couronné de deux coqs au milieu desquels figure une croix. Située en bordure de route, son portail élevé naturellement en face du Maître Autel, portait l’inscription suivante « Anno 1752 ». Large, terminé en plein cintre, il était soutenu par deux puissants contreforts en briques. Il avait de ce fait un certain caractère architectural.
Avant d’accéder aux portes de l’église, dans les murs de droite et de gauche, deux échancrures, taillées dans la pierre permettaient de faire descendre et monter une herse, constituée par de gros barreaux de fer carrés, entrecroisés interdisant tout accès à l’intérieur de l’église. Cette herse était actionnée depuis le poste du guet situé au-dessus du porche. Dans ce local, une petite ouverture permettait d’avoir vue sur l’extérieur.
Tour servant de clocher, mâchicoulis de défense, herse à l’intérieur du portail mettaient l’église d’Essigny le Grand au nombre des églises fortifiées de la Thiérache (Tour-donjon carrée, avec des contre-forts en arc-boutants et sans ouverture sur l’extérieur).
Sur la façade de la tour, à mi-hauteur, on voyait une niche dans laquelle était placée la statue de Saint-Saulve, patron de la paroisse. Passé le portail, l’édifice s’élargissait en forme de transept à l’entrée du chœur, d’un côté on voyait l’autel de la Vierge et de l’autre, la Sacristie et un deuxième autel. L’intérieur de l’église était très imposant, il formait une nef avec des bas côtés très larges au bout desquels se trouvaient le Maître Autel et le transept avec ses deux autels. Le chœur, le Sanctuaire et la nef elle-même s’annonçaient mystérieusement au visiteur qui entrait dans l’église. Il régnait là une demi-obscurité d’un effet très religieux. Les fenêtres, celles du chœur et de l’autel, étaient couvertes de beaux vitraux qui ne laissaient pénétrer que faiblement la lumière du dehors.
L’église n’est pas grande. Elle n’est pas en rapport avec l’élévation de la voûte : un plafond artistiquement construit. Six belles colonnes simples, dont deux enchâssées dans les murs du transept et du portail, séparaient la nef des bas-côtés. Le chemin de croix était l’un des plus beaux que nous ayons vu jusqu’ici dans les églises des villages environnants de St-Quentin.
Parmi les sujets représentés sur les vitraux, on notait Sainte Clothilde, reine de France, Saint Jean baptisant le Christ, Saint Chrissostomme avec l’enfant Jésus sur les épaules, Saint Louis, roi de France, Saint-Quentin, jeune homme imberbe comme celui de la chapelle du Bois d’Holnon, Sainte Hunégonde (née à la ferme de Lambay-Urvillers) était en face de Saint-Quentin sur l’un des vitraux.
Les fonts baptismaux étaient placés à droite du portail ; ils étaient en marbre violacé, de même genre et de même style que ceux de la Basilique de S-Quentin. Une petite pièce au toit à deux pentes, sur le flanc droit de la tour, servait de sacristie.
Sur la droite de l’église, on trouvait l’entée du cimetière qui se prolongeait par l’arrière, et dont l‘accès se faisait par deux petites portes percées dans le mur de clôture, donnant sur la rue. Y faisait suite la mairie.
« En résumé, l’église d’Essigny le Grand est très intéressante, sa vieille tour, son chœur et son sanctuaire doivent être entretenus avec soin. C’est un monument religieux d’un caractère historique, qui mérite d’être visité et conservé ».
Qu’est-il advenu de la conservation de cet édifice ? En 1918, la première guerre mondiale qui dure depuis 5 ans touche à sa fin. Entre Essigny et St-Quentin qu’ils occupent, les Allemands ont établi et creusé la fameuse ligne de défense nommée « Hindenburg ». Casemates, blockhaus et 9 lignes de tranchées parallèles doivent arrêter la progression des troupes françaises. Leur artillerie est en batterie au Moulin de Tous Vents. Dès les premiers contacts, elle va entrer en action. Objectif : raser tous les villages à portée de tir. Essigny le Grand était du nombre.
Les premiers obus incendièrent l’église et les habitations, et les pilonnages qui suivirent anéantirent tout ce qui restait debout. L’église aplatie n’était plus qu’un amas de décombres. Seul, le deuxième pilier de droite de l’église resta debout au milieu des ruines, index vengeur dressé vers le ciel, accusant la barbarie de l’ennemi.
De part sa position sur un site seigneurial, l’église jouissait du droit d’asile, tout individu, quel qu’il soit, ayant commis un quelconque délit ou jugé comme tel, pouvait momentanément échapper à la justice qui le poursuivait en se réfugiant dans l’église où il était à l’abri. L’endroit était inviolable et l’Evêché statuait ensuite sur son sort.
Une église provisoire en planche avec toiture de carton goudronné fut édifiée sur l’emplacement de l’actuel presbytère jusqu’en 1925.
Au moment de la reconstruction, l’emplacement fut modifié, car jugé trop dangereux en bordure de la route, et l’église fut implantée à l’arrière. Le cimetière fut déplacé et ce qui pouvait être récupéré de l’ancien fut déplacé.
Les anciens vitraux ayant disparu, les familles riches de cultivateurs firent des dons (les noms des familles paraissent au bas de chaque vitrail).
Un vitrail est consacré à St-Saulve : situé sur la façade de l’église, au-dessus du portail d’entrée. Il porte la mention : don des habitants de la paroisse. Représentant l’évêque StSaulve, mitré et auréolé, ce dernier tient un crucifix de la main droite, une palme de couleur bleu dans la main gauche et la crosse épiscopale repose sur son épaule gauche. Sur le côté droit, on voit une tête de bœuf, corne et garrot. Représenté en buste, la base du vitrail porte un blason en forme d’écu partagé en deux en son milieu :
Côté droit : semis de fleurs de lys sur fond d’Azur Côté gauche : un ½ alérion sur fond pourpre.
Deux autres vitraux garnissent les deux branches de la croix du transept, offerts par le baron belge Ervins COPPE en 1925 (propriétaire des fermes dénommées SIAS). Son nom ne figure pas sur les vitraux, mais le blason de sa famille « Acta non Verba » (famille anoblie par le Roi des Belges en 1912). Celui de droite représente les combats livrés durant la première guerre mondiale et celui de gauche St Dominique agenouillé aux pieds de la Vierge Marie qui tient l’Enfant Jésus dans ses bras. Sur ce vitrail, La Vierge Marie et l’Enfant Jésus font une « apparition » : tous deux sont portés sur un nuage. La Vierge remet à St-Dominique le « rosaire », grand chapelet torsadé, composé de 15 dizaines d’Ave Maria et de Pater Noster. C’est à partir de cette apparition que St-Dominique lança l’usage du rosaire dans la Liturgie catholique.
L’autel, ainsi que plusieurs stalles en bois, furent fabriqués en série par quelques artisans menuisiers, qui obtinrent de l’évêché la soumission correspondante de « remeubler les églises reconstruites ». Bancs et confessionnaux sont identiques dans nombre de village.
Les anciennes statues, en bois polychromes, brûlées dans l’incendie, furent remplacées par de piteux moulages en plâtre coloré.
Hormis les instruments du culte (ciboire, patène, ostensoir et encensoir), emmenés lors de l’évacuation, revinrent à leur place avec les trois bannières de l’église, elles-aussi préservées, l’une dédiée à la Vierge Marie, la seconde à Saint-Joseph et la troisième au Sacré-Cœur. Réalisées en soie naturelle, brodées de fils d’or, d’argent et de couleurs, entourées d’une frange métallique, elles sortaient de l’église le jour de la Fête Dieu pour la procession annuelle.
Les processions
Les processions étaient monnaie courante. Les bannières étaient brandies et étaient le reflet et la participation à tous les événements liturgiques. Partie intégrante des « trésors » des cathédrales, basiliques, sanctuaires jusqu’au plus simples églises, les bannières participaient à toutes les processions réglées par le clergé, aussi bien en manifestation de joie (avènement royal ou naissance) que pour les décès ou les vœux (ceux de Louis XIII) ou encore des appels à la clémence céleste, notamment au cours d’épidémie (peste, choléra, période de sécheresse).
Elles étaient donc souvent utilisées, d’où la richesse et la qualité de leurs tissus, broderies et représentations religieuses. Au fil des ans, tout cela disparut et il ne restait à Essigny le Grand que la procession de la Fête Dieu, le 17 juin.
Sortant de la grand’messe, la procession allait d’un bout à l’autre du village en suivant l’axe de la grande rue, se limitant aux deux calvaires placés aux deux entrées du village.
Le chemin étant assez long, plusieurs reposoirs étaient édifiés à mi-chemin. Construits par des bénévoles, ils consistaient en une estrade de bois, sur laquelle était posée une table et, sur cette table, un élément cubique généralement constitué par une caisse. Le tout était recouvert de draps blancs, sur lesquels étaient piquetés nombre de fleurs naturelles et de petits bouquets. Leurs emplacements étaient les suivants : vers Montescourt, sous le porche de la ferme Turbeaux/Alméras et vers St-Quentin, sous le porche de la ferme Caron/Paris, chez Mme COLLET-CARETTE, Melle Marie WATTIER.
Sortant de l’église, en tête, les premières communiantes en blanc, suivies des renouvelantes (communiantes de l’année précédente) précédaient le cortège. Chacune d’elles avait sur sa tête une petite couronne de fleurs blanches. Un large ruban, bleu ciel, passé en sautoir sur l’épaule, soutenait un petit panier plat en osier ; un napperon blanc en garnissait le fond et ce panier était rempli de pétales de roses que les jeunes filles allaient parsemer devant elles sur la route. Derrière elles venaient les garçons premiers communiants de l’année, puis les renouvelants.
Arrivaient ensuite les 3 bannières, chacune portée par une femme, encadrée par deux compagnes. Car, partant de la barre horizontale de la bannière, pendaient deux cordonnets terminés par un gland. Ces deux femmes portaient donc « les cordons du poêle ».
Venait ensuite le prêtre, revêtu de sa plus belle chasuble de cérémonie, tenant devant lui, à hauteur de poitrine, l’ostensoir au centre duquel est placée une hostie, symbole du Saint-Sacrement.
Suivait ensuite la foule des fidèles chantant des cantiques que lançait le chef de la chorale de l’église.
Arrivé au premier reposoir, le prêtre montait sur l’estrade et posait l’ostensoir au plus haut degré. Se retournant alors, il bénissait la foule et prenait un peu de repos sur un fauteuil placé là à dessein. Nouvel arrêt au Calvaire et retour en sens inverse sur le second parcours avec haltes aux mêmes endroits. La procession prenait fin en revenant dans l’église où, après une ultime prière, se faisait la dislocation des participants.
Le pain béni
Essigny le Grand a toujours été un village à vocation agricole ; il y a donc toujours eu du blé pour la farine, du lait pour le beurre, des poules pour les œufs, ces trois produits permettant la fabrication de brioches.
Aussi loin que l’on puisse s’y référer, le pain béni était distribué aux fidèles, le dimanche, au cours de la messe. Le boulanger confectionnait 5 couronnes de brioches, de grandeur décroissante, qui, empilées les unes sur les autres, formaient une belle pièce montée, couronnée à son sommet par une grosse brioche, dénommée Culot.
Au début de la messe, sortant de la sacristie, un enfant de chœur portait un plateau sur lequel était posée cette pièce montée. Il était accompagné d’une jeune fille portant le cierge pascal. Venant derrière eux arrivait le prêtre. Il allumait le cierge et prononçait la prière de bénédiction, puis avec le goupillon et l’eau bénite, bénissait la brioche devenant ainsi « pain béni ».
Ces brioches étaient ensuite débitées en petits morceaux, placés dans des corbeilles, et à la fin du service, passaient dans les travées où chaque fidèle se servait. Seules les couronnes étaient débitées, le culot avait un autre destin. A la fin de la messe, l’enfant de chœur, désigné comme porteur, allait porter le cugnot au domicile de la famille qui ce jour là avait offert le pain béni. La coutume voulait que celui qui recevait cette pièce allait aussitôt la
porter à son voisin le plus proche. Si ce dernier l’acceptait, il s’engageait à offrir le pain béni la semaine suivante. Il pouvait alors consommer le cugnot. En cas de refus, le cugnot était présenté au voisin suivant.
Le refus n’intervenait pratiquement jamais, d’abord par respect humain et religieux, et d’autre part le boulanger était approvisionné gratuitement par les cultivateurs en farine, œufs et beurre, et là encore, personne n’aurait osé refuser sa participation. La famille qui, le dimanche offrait le pain béni, n’avait en réalité qu’à payer au boulanger que les frais de confection et de cuisson des dites couronnes, cette pratique permettant ainsi aux familles les plus défavorisées de participer comme les autres.
Cette tradition continua jusqu’en 1975. Bien entendu, depuis longtemps, plus rien n’était fourni au boulanger et tout revenait à la charge du donateur. Cette tradition se perpétue encore lors des communions solennelles.
L’enfant de chœur, porteur du cugnot, était ensuite invité à partager le repas avec la famille à laquelle il avait remis le cugnot.
Petit oratoire de la Vierge Marie
Oratoire : du latin oraré = prier : Chapelle de dimension restreinte, pouvant se situer sur la voie publique ou à l’intérieur d’une maison particulière.
Celui d’Essigny le Grand se trouve à l’angle de la rue de Beauvoisis (sur sa droite) et la rue de Paris (sur la gauche). Il représente en pied la Vierge Marie tenant l’Enfant Jésus dans ses bras. D’un style très dépouillé, correspondant aux critères artistiques de l’époque, lors de sa construction.
A sa base, une date 1954, et au-dessous, la mention « Année Mariale ».Sur le socle supportant la statue est encastrée un bloc de pierre grise, provenant des abords de la Grotte de Lourdes. En son milieu est gravé une petite croix fichée de 3 x 2 cm.
Au pied du monument, les deux mots : AVE MARIA ont été réalisés avec des petits carreaux de mosaïque blanche. Le style du monument est ogival, il est constitué par de gros pavés de grès brut, surmonté au sommet d’une Croix Latine. Un gardefou ceinture le monument. Il a été fait avec un gros tuyau de fer rond, supporté par quatre pilastres de ciment. Sur l’avant, deux petits massifs sont garnis de fleurs en permanence.
En 1954, le jour de la Fête-Dieu, en juin, un reposoir était édifié au pied de cet oratoire. Il permettait de recevoir durant quelques instants, l’Ostensoir porté par le prêtre lors de la procession dans les rues du village.
Saint-Saulve, Patron de la Paroisse
Traitées de façon historique, quelles sont les origines du culte de Saint- Saulve ? SALVIUS, évêque d’Angoulême, quitta son diocèse et partit comme missionnaire pour évangéliser la région du Hainaut (franco-belge), afin d’y reconstruire le christianisme après les invasions germaniques.
Il s’adjoignit un compagnon de route – un Comte est-il rappelé – Utilisant les chaussées romaines, il passa par Soissons, Reims et, avant d’arriver à Saint-Quentin, s’arrêta à Essigny le Grand. En ce lieu, il fut crédité d’un miracle. Les pains du boulanger furent transformés en pierres car il refusait d’en fournir aux indigents, alors qu’il y avait sur place une grande famine. Et il ne retrouva des cuissons normales qu’après avoir imploré son pardon auprès de l’Evêque.
Près de Valenciennes, à Brenne, il descendit chez le procurateur, ou préfet, nommé Winegard. Cet individu, violent et cupide, avait beaucoup admiré les ornements sacerdotaux et les Vases sacrés que l’Evêque portait avec lui afin de rehausser l’éclat de ses cérémonies religieuses. Accompagné de son fils, ils n’hésitèrent pas à égorger SALVIUS et son compagnon et enterrer leurs corps dans une étable. Quelques mois plus tard, Charlemagne, empereur d’Occident, eut connaissance de ce crime par une vision céleste. A La suite d’une enquête solennelle, il se rendit sur les lieux et fit procéder à l’exhumation des corps. Le premier fut
celui du compagnon de SALVIUS, comme il avait été placé au dessus de lui, il fut appelé SUPER et, ensuite le corps de SAVIUS fut déterré. Une foule nombreuse assista à cette translation qui a eu lieu vers 798. les deux corps furent mis sur un chariot tiré par des bœufs. La providence décida que leurs corps resteraient à Brenne. Les bœufs qui tiraient le chariot sur lequel on avait chargé les dépouilles des martyrs les conduisirent directement à ce village où ils s’arrêtèrent. Ce village a depuis cet événement pris le nom de Saint-Saulve, qu’il porte encore aujourd’hui à un kilomètre de Valenciennes.
Quelques années plus tard, SALVIUS et SUPER furent béatifiés et devinrent SAINT SAULVE et SAINT SUPER, mais ce dernier tomba dans l’oubli.
De nombreux pèlerinages furent alors organisés, ils avaient pour but de venir y prier, soit pour la guérison des bestiaux malades ou préserver du mal ceux qui étaient sains. Avait lieu alors l’Attouchement. A la porte de l’abbaye, des petits commerçants vendaient des bâtons spéciaux. Il fallait ensuite aller frotter légèrement la statue de Saint-Saulve avec ce bâton et, de retour chez eux, frapper leurs bestiaux malades ou sains avec le bâton « préservatif ». Le pèlerinage de la mi-carême était spécial. Ce jour-là, les femmes venaient prier le saint pour se mettre en mesure de concevoir le jour même. Et les cultivateurs y venaient également pour que leurs vaches fussent fécondées et leurs taureaux actifs.
Le culte rendu au Saint était tel à cette époque qu’il a été possible de relever 25 lieux où lui furent bâties et dédiées abbayes, églises et chapelles dans le nord de la France, le sud de la Belgique et même à Cologne en Allemagne. Faute de reliques, on y vendait des statuettes, des images pieuses et des médailles bénites.
Ce pèlerinage, plus que millénaire, qui a traversé tant d’époques troublées qui a survécu aux guerres et aux révolutions, s’est pratiquement éteint sous nos yeux vers la fin des années 1960. Victime des transformations rapides de l’agriculture et de l’élevage, de l’évolution du mode de vie et des mentalités.
Sur la façade de l’église d’Essigny le Grand, existe un vitrail rond situé au-dessus du porche d’entrée. Fait de verres teintés, on le voit beaucoup mieux, par transparence de l’intérieur de l’église : il représente le buste de l’évêque, mitré et auréolé. Tenant un crucifix dans la main droite, la crosse épiscopale repose sur son épaule gauche, et sa main gauche tenant une palme bleue, couleur du martyr. En arrière plan, côté droit, figure une tête de bœuf, cornes et garrot. Et, dans le mur de droite, placé sur une console à 1 m 50 du sol, la statue du saint revêtu de ses ornements.
Les cloches
1919 : le village est rasé, il ne reste plus qu’un énorme tas de gravats ! Une église provisoire, en planches, fut alors construite à l’emplacement de l’actuel presbytère. Elle exista jusqu’en 1925, date à laquelle l’église fut reconstruite.
Il n’y avait plus de cloches, brisées, cassées par les Allemands, les morceaux expédiés vers les fonderies en Allemagne. Il fallait donc les remplacer. Le clergé fit appel aux habitants. Certains furent particulièrement généreux, car le ou les souscripteurs pouvaient devenir parrain ou marraine d’une cloche. Les fonds obtenus par quêtes, dons, bénéfices de fêtes, subventions, permirent en 1926 de passer commande de trois cloches à un maître fondeur de cloches.
Elles furent livrées en début d’année 1927. Une fête communale et religieuse fut alors organisée pour leur installation qui eut lieu le 13 mars 1927.
Présentées pour leur bénédiction, elles furent placées sur le plateau d’un chariot devant l’église, enrubannées, recouvertes de dentelle blanche et de guirlandes de fleurs. Comme il en était d’usage lors de la bénédiction et du baptême, pour ce cérémonial, chacune d’elles porte en relief, sous sa jupe, en lettres de bronze, les prénoms de sa marraine. La photo confirme bien que ne sont portés que les prénoms. Quelques recherches m’ont permis de retrouver les noms des familles afin de les sauver de l’oubli :
1° cloche : Melle Marie Louise Pierre ALLIOT 2° cloche : Melle Alberte Henriette BARRE 3° cloche : Melle Marie Marcelle MORTREUX.
Une messe fut célébrée, après quoi, elles furent hissées dans le clocher et prirent la place qui leur était affectée.
Depuis 1927, elles assument leur rôle de carillon sur le village. Une longue période de quelques années, vers 1950, les rendit muettes suite à une panne du système électrique. Une kermesse fut organisée dans le village pour assurer leur remise en état et le montant collecté permit de leur rendre vie. Une seule cloche, la plus grosse, donne l’heure coup par coup, en rapport avec les cadrans horaires des quatre côtés du clocher (de 6 h du matin à 22 h le soir).
La seconde tinte trois fois dans la journée : 6 h du matin : NONNES 12 h : MIDI (mi journée) 18 h : l’ANGELUS du soir.
Chacune de ces sonneries est précédée de 3 fois un coup séparé, ceci rappelant aux fidèles qu’il y avait lieu de réciter un Pater, un Ave Maria, un Pater pendant que le carillon faisait suite – de 96 à 100 coups de cloches.
Pour les baptêmes, mariages ou cérémonies religieuses, les trois cloches tintent en même temps. Pour les enterrements, c’est le glas, les trois sons étant décalés, ce qui le fit appeler par les anciens « la Boiteuse ».
Il n’y a plus de battant à l’intérieur de chacune d’elles. Aux origines, dans les anciennes églises, elles étaient mises en « branle » au moyen d’une corde descendant jusqu’au sol. Chaque sonneur tirant sur cette corde faisait faire un demi-tourr à chaque cloche. Ne pouvant lâcher sa corde, il fallait voir le sonneur monter et descendre au rythme de la cloche.
A l’heure actuelle, les cloches sont trop fragiles pour pouvoir supporter un pareil ébranlement. Maintenant leur fonctionnement est électrifié. A la base de chaque cloche, un marteau oscillant vient frapper la base de chaque cloche (la jupe) suivant une programmation bien établie., le tout étant commandé par un boîtier électrique placé dans la Sacristie.
Qu’on le veuille ou non, le son des cloches, dans un village, règle la vie de chacun. Souhaitons leur longue vie, car elles sont les accompagnatrices de la vie humaine aussi bien dans ses joies que dans ses peines, et la vitalité de notre commune.
Les calvaires du village
Pendant des siècles, la France fut soumise et gouvernée par le pouvoir royal, partagé toutefois avec le pouvoir religieux, dispensé par la religion catholique. Ce second pouvoir, spirituel, était tout puissant et avait acquis le droit de régenter tous les individus : « hors de l’église, point de salut ».
Dans un village, le point central de rassemblement, hormis l’éventuel château, c’était l’église. Afin de rappeler de façon permanente et tangible, le respect dû au culte, à l’entrée et à la sortie du village, étaient élevés des calvaires.
A Essigny le Grand, deux calvaires ont été reconstruits après la première guerre mondiale aux deux entrées du village. Sur des blocs de pierre ou de granit, une croix de bois en chêne est érigée sur laquelle un Christ en bois sculpté est encloué.
Le premier, situé à côté de la Ferme de la Manufacture, est de type Janséniste, les deux bras formant un V majuscule. Le second, à la sortie vers Montescourt est Catholique romain, les deux bras se rapprochant plus de l’horizontal.
De tous temps, ces calvaires ont signifié que le village était placé sous la protection de la religion, et ils avaient été érigés à ces emplacements pour le rappeler aux ouailles. La coutume exigeait que passant devant un calvaire, on devait se signer, autant de fois que de passages.
Des calvaires existants avant la première guerre mondiale, l’un d’entre eux, abattu pendant la guerre et quoique mutilé, fut récupéré et replacé dans la nouvelle église, sur le coté droit. Une petit cartouche rappelle son origine.
Coutumes de Pâques
Le moment de la fête de Pâques était un moment marquant dans la vie des villageois autrefois. Dès le jeudi saint, avait lieu dans l’église la cérémonie du « lavement des pieds », après quoi toutes les cloches se mettaient à carillonner, puis « partaient à Rome ». Dès lors jusqu’au jour de Pâques, les cloches devenaient muettes, en signe de deuil.
A leur retour le dimanche de Pâques, elles étaient « garnies de friandises » destinées aux enfants qu’elles semaient dans les jardins.
Le jour du vendredi saint, on célébrait l’office des morts, puis l’après midi on parcourait le Chemin de Croix, pèlerinage virtuel, et les Crucifix étaient voilés par un tissu épais, de couleur violette. Au cours de l’office apparaissaient les « crécelles » qui remplacent les clochettes au cours de la messe.
La Crécelle servait à annoncer les offices durant la semaine sainte. Instrument de bois dur et sec, formé d’une languette flexible contre laquelle tourne une roue dentée dont les soubresauts lui font produire un son aigre. Tenu par le bout de son manche, il suffit de faire tourner le tambour sur son axe.
Le samedi saint, avait lieu la cérémonie de renouvellement de l’Eau Lustrale, servant aux baptêmes. C’est l’eau bénite que tous les enfants de chœur vont utiliser à leur profit. Le prêtre a béni une assez grande quantité d’eau, dont une partie est remise aux enfants de chœur qui sont attendus dans chaque maison.
Les enfants répartissent l’eau dans différents récipients ensuite chargés sur un transport de fortune : brouette, charreton à 2 roues et la tournée démarre. Munis de crécelles, leur cortège est précédé d’un joyeux brouhaha. Surnommés les « Routeleux » (routeleurs c’est à dire individus qui se déplacent sur la route), ils vont distribuer l’eau et récupérer leurs « œufs rouges ».
Quand le cortège arrive devant une maison, les enfants se regroupent et chantent en chœur une vieille comptine : « Nous v ‘nons ici avec honneur Donnez qué’que chose à ces rout’leurs Un jour viendra… L’bon Dieu vous le rendra »
Et l’eau bénite est distribuée selon les besoins. En contre partie, et en remerciements, il était d’usage de récompenser les enfants. : un peu d’argent, quelques piécettes (rarement), plus souvent des œufs frais ou des tranches de lard ou de porc. Mais aussi les « œufs rouges ». Ce sont des œufs cuits durs dans une eau additionnée de pelures d’oignon, donnant ainsi une belle couleur orangée.
Si en général tout se passait bien, parfois un « rapiat » ou mécréant se barricadait chez lui, ne donnant pas signe de vie. Un refus était passible de quolibets et de huées et les enfants chantaient ensuite une variante de la comptine, accompagnée de quelques volées de cailloux sur les volets :
« un jour viendra… l’Bon Dieu vous prendra ! ».
Malgré ces éventuels incidents, la récolte était importante. La tournée achevée, les enfants se la partageaient équitablement, heureux de ramener cette manne à la maison.
LE CIERGE PASCAL
Au moment de l’office du samedi, le prêtre bénissait le Feu Nouveau en allumant le cierge pascal. De grande dimension, il reste allumé durant les offices solennels. A son côté, le porte cierge est empli de petits cierges courants, en cire blanche, longs, pointus, effilés, qui reçoivent la même bénédiction et sont destinés aux fidèles désirant les acheter en fin d’office.
Chaque foyer est ainsi nanti d’eau bénite et d’un petit cierge pascal ! pour quel usage ?
Lorsqu’un violent orage passait sur le village, la peur de la foudre régnait dans chaque maison. Au cours des siècles, les maisons étaient principalement recouvertes de chaume qui prenait feu instantanément, communiquant le feu aux autres maisons. Alors pour exorciser ce malheur « envoyé par le ciel », les habitants aspergeaient d’eau bénite l’intérieur de la maison,
se servant du rameau de buis béni le jour des Rameaux et conservé pieusement. De plus, le cierge pascal était allumé, la lumière de la flamme représentant la lumière divine.
Religion, foi, croyance ou exorcisme, cette coutume fut pratiquée durant des siècles. En 1930, en vacances chez mes tantes, j’en fus témoin.
LA RELIGION DANS LES MAISONS
La religion eut force de loi durant des siècles et chaque famille suivant scrupuleusement les rites et cérémonies. Dans chaque foyer, il y avait des images pieuses et des petites statuettes de saints à qui l’on adressait des prières spéciales pour bénéficier des pouvoirs qu’ils étaient censés posséder du fait de leur béatification.
Petites statuettes en plâtre, bariolées de couleurs vives, ce sont les colporteurs qui se chargeaient de leur diffusion dans les campagnes. A partir de 1858 (première apparition de la vierge à Lourdes), une flambée d’effigies de la Vierge inonda le pays et chacun eut à cœur d’en posséder une, des plus chères au moins onéreuses.
Un modèle fit particulièrement fureur : une plaquette d e b o i s , p e i n t e e n n o i r , s u r m o n t é e d’u n e C r o i x, découpée d’une seule pièce. Dans son centre, un orifice d e f o r m e o v ale s e r t d e lo g e m e n t à u n e e f f i g i e religieuse en plâtre moulé. Elle représente la vierge de Lourdes apparaissant à Bernadette Soubirous, dans la grot te de Massabielle au bord du Gave. A sa base, un petit bandeau en forme de ruban porte ces mots : N.D. de Lourdes P.P.N. Coiffant cette plaquette, une bulle de verre épais la protège. Elle est maintenue en place p a r u n p e t i t c a d r e d e la i t o n é p o u s a n t s o n c ontour. Q u a t r e p e t i t e s p a t t e s p e r f o r é e s e n p e r m e t t e n t la fixation. Au verso, la plaquette est à nu, maintenant par quelques pointes piquées sur le cadre.
La statuette représentée ci – dessus appartenait à ma grand – mère paternelle.
La Croix Hosannière
Que vous entriez dans le cimetière communal ou que vous passiez devant, vous voyez dans l’allée centrale une grande croix, spéciale, car elle est enfer forgé.
De dimensions importantes, elle mesure, du sol au sommet 5.90 m, les bras de la croix 2.40 m et sa largeur est de 11 cm.
C’est une croix plate dont le centre est garni de motifs en forme de S, ainsi que deux arcs-boutants, à droite et à gauche. Elle fut placée dans le cimetière lorsqu’il fut inauguré. Elle était auparavant dans l’ancien cimetière, à gauche de l’église lorsque tout fut anéanti en 1918.
Elle se dresse sur un socle de pierre, monument funéraire sous lequel furent ensevelis deux curés de la paroisse, MM Louis PIERRAT et Paul POINDRON.
Chaque année, le dimanche des Rameaux, les fidèles se rendaient à la messe, chacun portant quelques branchettes de buis qui étaient bénies durant l’office.
Après quoi, en procession, tous se rendaient au cimetière et se regroupaient autour de la croix. Etait alors chanté l’hymne « Hosanna ». Ensuite les présents se répartissaient dans le cimetière pour aller poser sur les tombes de leurs parents et amis, un brin de buis béni à titre de souvenir.