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Conte de Saint-Gobert D’Alfred MIGRENNE : La genèse du VilpionHistoire locale / Articles

Thème : Contes, légendes et chansonsCommune(s) : SAINT-GOBERTAuteur : Alfred MIGRENNE


Gentille châtelaine

Qui depuis l’an passé

Attendez avec peine

Le retour du croisé,

Le jour enfin s’amène ;

Oyez, tout est joyeux.

Gentille châtelaine,

Séchez vos jolis yeux.

 

Ainsi chantait le trouvère Brin-de Sainfoin sous les fenêtres du château de Saint-Gobert où, depuis le départ de son époux, lequel avait été appelé à partager les périls de la guerre sainte, se lamentait Blanche feuille, dame gentille, comptant vingt ans à peine.

 

Mais le baron Coupevoie, beau-père de Blanchefeuille, se méfiait de ces façons-là.

vois ce godelineau, dit-il à un de ses chevaliers, va lui dire que je veux lui parler.

Brin-de-Sainfoin ne se doutait de rien, il était venu là pour se faire entendre de la dame, tout simplement, sans la moindre mauvaise pensée.

Aussi suivit-il le chevalier, persuadé même qu’on lui voulait du bien. Car en ce temps-là, c’était la coutume d’offrir l’hospitalité aux poètes allant de château en château.

Le baron Coupevoie le reçut sur le pas de sa porte, avec force démonstration d’amitié.

chantez divinement et vous exprimez de même. Or ça, venez. Il y a là-haut joyeuse compagnie ; vous la divertirez puisque c’est votre métier.

Et le baron emmena Brin-de-Sainfoin, très agréablement surpris de l’aventure

 

Les deux hommes allaient, venaient, montaient, descendaient, si bien qu’au bout de quelques instants, ils se trouvèrent en haut d’une tour où, brusquement , la porte se ferma sur le trouvère, dès qu’il fut entré.

Brin-de-Sainfoin devina le piège, et la peur le saisit des pieds à la tête.

Cela fait, le baron Coupevoie s’en fut vers sa bru et lui demanda si elle connaissait le mignon diseur de vers qui s’était fait entendre sous ses fenêtres.

« souricière » !

On sait ce qu’il appelait sa souricière.

Franqueville pour chanter à l’ensemble des garçons et des filles.

Malfaisant de ma maison.

ce pas lui toujours qui fait coasser les grenouilles autour du château, à l’heure de mon sommeil ?

 

Il n’acheva pas.

Le Vilpion était devant lui.

C’était une sorte de nain, bossu, avec des jambes en cerceau et la tête couverte de cheveux roux. Il était joufflu et ses yeux, ainsi que sa bouche semblaient enfoncés dans son visage.

Comment était-il apparu ? Par où était-il rentré ? lui seul eût pu le dire.

Le baron Coupevoie était comme pétrifié.

parlez. Regrettez-vous de m’avoir imputé des crimes que je n’ai pas commis ?

Il y allait franc jeu le Vilpion.

Tenez je vais vous prévenir d’une chose qui vous fera plaisir : je vous avise qu’il y a là-haut un gaillard qui va vous échapper.

le ficeler.

Le baron n’attendit pas d’en savoir davantage. Il disparut, courant à toutes jambes, s’enquit d’une corde -d’une corde longue et résistante – courut à sa souricière et surprit le diseur de vers en train de mesurer de l’œil la distance de la fenêtre au sol.

Il était fort, solide. Il se jeta sur lui, s’en rendit maître à l’instant et l’autre, dans l’impossibilité où il était de faire autrement, se laissa lier, ficeler.

En le voyant de la sorte, le baron Coupevoie eut un rire moqueur et lui dit en s’inclinant jusqu’à terre :

souhaite. Si vous avez besoin de quelque chose, frappez.

Puis il sortit à reculons, de plus en plus narquois.

Lors, le trouvère se prit à se lamenter.

Il avait les os brisés sur sa couche de pierre. Il n’était bien ni à sa droite, ni à sa gauche, et comme il se retournait  pour se faire une position plus douce, ou tout au moins plus endurante, il sentit que la corde qui le retenait se lâchait. Il doubla d’efforts. La corde continua de céder, et bientôt il put débarrasser un bras de ses liens. Quelques instants plus tard, il était debout.

Il courut à la fenêtre qu’il ouvrit et jeta un coup d’œil au dehors. Personne. Il attacha la corde à un barreau de la fenêtre et s’y laissa glisser.

Mais, ô fatalité ! voilà qu’un énorme chien de garde sortit de sa niche et se mit à aboyer à gueule que veux-tu. Heureusement la bête était à la chaîne. Mais l’éveil n’était pas moins donné. Il ne restait au pauvre garçon qu’à prendre ses jambes à son cou. Ce qu’il fit.

A cinquante pas il se trouva en présence du Vilpion qui riait aux larmes et se frottait les mains.

Pour le moment il s’agit de te faire aller à Franqueville. Dépêchons.

 

Il était en effet urgent qu’ils se hâtassent, car le baron Coupevoie était instruit de l’évasion de son prisonnier et déjà il réunissait son monde pour le rattraper.

La cloche de Saint-Gobert résonnait comme pour l’appel du ban et de l’arrière-ban. Les habitants étaient en grand émoi ; ils croyaient à une invasion de la soldatesque étrangère, comme c’était arrivé l’année d’avant. Quand ils surent de quoi il s’agissait, ils s’esclaffèrent.

Cependant ils furent armés de bâtons, après quoi ils prirent les uns la directio de Gronard, les autres celles de Houry ; ceux-ci s’en furent vers Voharies et ceux-là vers Franqueville ; de cette façon, Brin-de-Sainfoin n’échapperait pas à la poursuite.

Seulement le bruit de la cloche avait fait naître certain soupçon à l’esprit du Vilpion et le génie en était arrivé à deviner les intentions du baron. Mais rien ne le déconcertait.

Pendu haut et court.

sur moi en cas de nouvelle alerte.

Franqueville ; là au moins ma personne serait inviolable ; on ne viendrait pas m’y chercher.

la guerre est une chose que je ne puis empêcher.

Comme il parlait ainsi, ceux de Saint-Gobert parurent. Ils étaient gaillards et ils ne semblaient rien craindre.

Mais le Vilpion se leva et dans une évocation pathétique et grandiose fit appel à tous ses sujets.

Aussitôt une armée de nains, coiffés, habillés et chaussés de toutes les façons et de toutes les couleurs, s’éleva du sol, dansant, gesticulant des bras et de la tête.

C’était un spectacle au-delà de ce que conçoit l’imagination.

Les braves gens de Saint-Gobert et le baron Coupevoie à leur tête, s’arrêtèrent net, figés par la consternation.

Une voix forte comme celle d’un cor se mit à chanter :

 

Le haut baron Coupevoie

Court après Brin-de-Sainfoin ;

Il faut lui couper la voie

Pour qu’il n’aille pas plus loin

D’autres que nous, race infime

Ne respirant que le crime,

Lui sauteraient au collet

Pour lui couper le sifflet

C’était le Vilpion.

 

Alors on vit cette chose sans nom : les nains se multiplier, armés de pics, de pioches et de pelles se placer sur une ligne, de Plomion à Dercy, puis travailler à creuser le sol.

C’était surhumain. On ne voit cela que dans les rêves. Les nains disparaissaient dans la tranchée qu’ils faisaient, petit à petit, comme des êtres qui s’enlisent dans la vase épaisse et profonde ; et les coups allaient s’affaiblissant, moins drus et moins secs. La besogne s’achevait..

Le Vilpion présidait au travail avec le sérieux d’un ingénieur attitré, tandis que Brin-de-Sainfoin, émerveillé, composait un lai sur le tableau vivant qu’il avait sous les yeux, pour le chanter tout à l’heure à l’assemblée de Franqueville.

Le travail terminé, ce fut un nouvel enchantement. Les nains rentrèrent dans le néant, les bords de la tranchée se couvrirent de verdure et de fleurs sur toute la longueur et une voix, née du murmure de l’eau, reprit la chanson du trouvère :

 

Gentille châtelaine

Qui depuis l’an passé

Attendez dans la peine

Le retour du croisé,

Le jour enfin s’amène ;

Oyez tout est joyeux ;

Gentille châtelaine,

Séchez vos jolis yeux.

 

Vexé, le baron Coupevoie sortit de sa torpeur et avança suivi de ses gens. Il était décidé à sauter par-dessus la tranchée qui était transformée en ruisseau ; mais à peine arrivé sue le bord, il fut attiré par une force maléfique et…vlan ! Il se trouve précipité au fond où quelque flot murmurant l’emporte pour le déposer à la hauteur de Voharies, sain et sauf, heureusement pour lui.

N’empêche que la leçon était rude.

 

Quelques-uns de ceux qui entouraient le baron, poussés par les autres qui étaient derrière, suivirent le même chemin, et pour sûr, tous y auraient passé si le Vilpion n’eût fait un signe cabalistique pour arrêter la bousculade.

Ceux donc qui eurent la chance d’être de ces derniers, furent consternés d’abord puis enfin retournèrent chez eux, honteux, déconfits, rapportant ainsi qu’ils croyaient que le baron avait succombé avec beaucoup de personnes de sa suite.

Ici, s’arrêtait la mission de Vilpion. Le génie s’éclipsa.

Mais Brin-de-Sainfoin lui devait quelque reconnaissance.

Il crut le voir dans le miroir de l’eau, trôner majestueusement au milieu de ses nains.

Le Vilpion n’a pas répondu, n’importe ! Le ruisseau a pris son nom et quelquefois encore, paraît-il, lorsque le soleil donne et que les insectes bourdonnent on l’entend chanter :

 

 

La haut baron de Coupevoie

Poursuivait Brin-de-Sainfoin,

Mais on lui coupa la voie

Pour qu’il n’aille pas plus loin.

 

 

 

 

Alfred MIGRENNE, Il était une fois dans la Thiérache

Transcription par Marianne Laplaud